Activités de Thomas Dupont-Buist

Épuisé depuis de trop nombreuses années (d’autant plus au regard de l’actualité criante de l’œuvre), cet énième volet des palpitants mémoires d’Angelou nous reparvient grâce à l’excellente collection Notabilia, toujours à la page des littératures mondiales. Après ses débuts artistiques en plein Harlem renaissance (Tant que je serai noir) et son adaptation à la vie en Afrique du Sud (Un billet d’avion pour l’Afrique), c’est sur son entrée ardue dans le monde adulte et celui de la maternité que s’ancre le magnifique Rassemblez-vous en mon nom. Avec cette force incroyable de caractère, ce ton inimitable, cette résilience hors du commun et cet humour tantôt piquant, tantôt tendre, Angelou touche à l’universel en racontant ce que c’est d’être une jeune femme noire dans un monde profondément raciste. Vous verrez, les choses ont malheureusement bien peu changées depuis la fin des années 70. À lire tant pour le plaisir de la grande littérature qu’en guise de devoir civique.

Véritable rafle des grands prix de la SF anglo-saxonne (Hugo, Nebula, Locus), cette série de novellas est captivante dès la première phrase. En nous donnant accès aux pensées d’un androïde un peu trop libre au goût de son employeur, Martha Wells explore les problèmes éthiques qui ne tarderont pas à devenir ceux de notre époque. Le décor splendide est celui d’innombrables planètes qui sont autant de potentialités d’investissement pour les différentes factions en maraude à travers l’univers. Addictif et d’une ambiance irrésistible, aussitôt la dernière page tournée, on se précipite sur le prochain tome pour le parcourir avec voracité.

Pour son troisième roman, Louisa Hall s’intéresse à la figure d’Oppenheimer en empruntant les sept chemins les moins fréquentés menant à l’énigme qu’il ne cesse d’incarner. En une succession de témoignages toujours étonnants, le portrait se précise et le paradoxe s’accroît. Comment l’architecte de la bombe atomique peut-il cohabiter avec l’activiste pacifiste victime des purges maccarthistes ? Loin de la biopic convenue, Hall démontre une fois de plus sa maestria en évitant les écueils du genre, mettant en scène ces sept voix fortes qui sont autant de personnages mémorables et qui sont, malgré la banalité présupposée de leurs aspirations, tout aussi passionnants et touchants que le grand scientifique constamment aux prises avec ses idées métaphysiques. Structurellement aussi bien que poétiquement, c’est d’une force bluffante et il nous nous reste qu’à tirer le chapeau porkpie en faisant révérence devant ce phénomène des lettres américaines. Je n’y changerais pas une virgule. Ce livre est bouleversant et touche à l’universel en se passionnant pour l’infime et l’immense. Pour ceux qui n’auraient pas encore lu son premier livre traduit, Rêve de machine, plongez sans crainte, c’est tout aussi brillant !

Il n’y a pas à dire, le grand Pullman a encore bien des merveilles dans sa besace ! Si le premier tome de la Trilogie de la Poussière relatait la naissance et la prime enfance mouvementée de Lyra, le deuxième expose des évènements prenant place près de dix ans après les aventures de la cultissime première trilogie ; À la croisée des mondes. Malgré les vingt ans qui les séparent, les tractations des deux tomes sont admirablement liées. On retrouve donc une foule de personnages chéris plongés dans toujours autant de péripéties métaphysiques. Le passage à l’âge adulte (qui est l’un des thèmes centraux de ce livre) ne se fait pas sans heurts. Après nous avoir renseigné sur les périls de la religion et de l’obscurantisme, Pullman retourne admirablement le gant pour attirer notre attention sur un autre extrême tout aussi dangereux ; la rationalité entièrement dépouillée d’imagination. C’est toujours aussi fin, captivant (ces histoires d’espionnage redonnent un second souffle au monde de Pullman) et universel dans ce sens où le livre plaira tant aux adolescents qu’aux adultes férus d’imaginaire.

Épuisé depuis de trop nombreuses années, confiné à l’éclat du mythe aussi brillant qu’inaccessible, cette nouvelle traduction du livre fondateur du mouvement cyberpunk est l’occasion rêvée de découvrir enfin ce texte culte ! L’expérience s’apparente à un furieux trip psychédélique ou encore à une plongée en apnée où l’air se met à manquer provoquant ainsi l’emballement de l’esprit. Tout est si radicalement nouveau, étrange, inquiétant et insaisissable que l’on s’agrippe comme on peut à n’importe quel repère en espérant ressortir du tordeur minimalement intact. L’acte est total, transgressif et parfois galvanisant. En anticipant l’internet, ses hackers, ses virus et ses guerres souterraines, Gibson a vraiment joué les Cassandres sans lézarder sa boule de cristal. Embarquez-vous avec Case (le meilleur cow-boy de l’interface tout en étant le plus toxico) le temps d’un dernier contrat bien pourri où les complots de grands conglomérats opaques se mêlent aux espérances d’intelligences artificielles et à la fumée des barreaux de chaise de Rastas de l’espace ! Vous redemanderez de cette poésie glanée dans les endroits les plus sordides que recèlent ce futur en partie prophétique.

Seul titre en langue originale de la prestigieuse collection Exofictions, le premier roman de Jean-Luc Deparis impressionne. Alliant un talent de bâtisseur de monde à un style relevé, Deparis prouve ici qu’il a de solides bases en ce qui a trait à la fantasy. Il prend pour pilier la mythologie celte et s’en sert pour fabriquer un univers et une aventure bien de son cru, originale à bien des égards tout en honorant ses prédécesseurs. Le résultat est ce solide pavé de près de 600 pages où l’on redécouvre une civilisation donnée pour perdue depuis des lustres en compagnie d’une héroïne amnésique. Donnée au départ comme immuable, la théocratie séculaire qui régit ce monde ne va pas tarder à révéler quelques lézardes exploitables pour que la révolte puisse y semer quelques graines. Les personnages antagonistes, forts intéressants, donnent lieu à des passages tout aussi incarnés. On pardonne sans difficulté les infimes maladresses et on se réjouit d’une fin ouverte qui ne ferme pas la porte à une possible suite. Une chose est certaine, Deparis a beaucoup de talent et on a hâte de lire l’œuvre à venir !