Activités de François-Alexandre Bourbeau

Vanessa Bell signe ici un premier recueil qui nous happe de plein fouet. Sur un ton incendiaire, elle nous livre une poésie des noyades et des accidents, des batailles et des rassemblements, une poésie profondément fauve, profondément personnelle. Car il faut foncer, avancer, tenir bon, satisfaire l’instinct de chasse, survivre. Mais ça fera mal. Il y aura au passage des élans de colère et des cris de détresse, il y aura une intimité violente, une âme à vif et un amour immense comme autant d’exutoires. Avec une adroite opposition douceur-douleur et un verbe-fleuve, DE RIVIÈRES porte les rugissements d’une multitude de voix.

Comme il est enjoué, ce recueil! Ludique, décalé… Ce n’est rien de moins qu’une collection de parenthèses surréalistes au gré du temps changeant, de la fluctuation des intempéries et du soleil radieux. Et le tout raconté avec un verbe protéiforme hautement coloré. Chaque poème donne l’impression d’une fenêtre qu’on ouvre ferme ouvre ferme selon la météo. LE TEMPS QU’IL FAIT ose jouer avec les mots, et donc jouer avec les lecteurs. Chaque page recèle un clin d’œil langagier, un jeu de mots, une locution volontairement disloquée, une suite d’idées saugrenues… Voilà un recueil qui rafraichit par son inventivité, qui fait tout simplement sourire.

EMPARÉE se penche sur ce qui reste de la mémoire face à l’Alzheimer. C’est un recueil qui se déploie comme une conversation au salon, où l’on encapsule ce qui reste de plus beau, comme le registre de tous les instants les plus précieux vécus par une famille, même au creux de la maladie qui estompe les souvenirs, qui gruge la vie, qui gangrène la mémoire individuelle et qui créé un vide dans la mémoire collective de la famille. C’est trouble, c’est douloureux, c’est parfois cru, mais c’est invariablement rempli d’amour et immensément touchant. En somme, c’est un album-photo dont les pages s’effritent et se cassent, c’est un devoir de mémoire inouï, un cri du cœur et un hommage figé dans le temps que Renée Gagnon, ici poète-narratrice, rend à sa grand-mère devenue affaiblie, épuisée et cicatrisée. Par le fait même, c’est l’histoire d’une vie entière et cette vie perdure au fil des mots.

SESTRALES est un univers. C’est un cours d’eau, une forêt d’épinettes, une tanière de renard, un champ de fleurs sauvages. C’est un refuge au creux de l’hiver, une poésie forestière, bestiaire et intime, qui suit les saisons au pas de danse et qui réconforte comme un plat chaud mitonné au chalet par une nuit de grosse bordée de neige. SESTRALES frappe et ne craint pas de laisser quelques cicatrices au passage, signé d’une plume à la fois délicate et carnivore. C’est un recueil qui peut tout aussi bien nous recouvrir d’une grosse couverture de laine que nous plonger les mains dans l’eau glacée du lac. Un livre aromatique et atmosphérique.

Sentir le crachin le long de la côte malmenée par l’assaut constant des vagues, sentir les arômes de tourbe dans le vallon trempé qui mène à la maison, sentir la lavande au creux des draps laissés à pendre au grand air de campagne. Photographie d’époque de la campagne anglaise, Pendant que Perceval tombait est une collection, une biographie, un catalogue d’odeurs. Un répertoire des sens, de ceux qui nous emplissent de douceur débordante, de sérénité discrète, mais aussi de ceux qui nous écorchent, qui nous enterrent sous six pieds de glaise, qui nous jettent au large sans que nous ayons le temps de prendre une dernière respiration. Tania Langlais signe avec ce recueil l’aboutissement d’une vie mouvementée, disloquée, celle de Virginia Woolf, où la voix narratrice – théâtrale – se promène de celle de la célèbre écrivaine à celle de ses personnages. Un texte magnifique, douillet et aromatique qui nous happe par son souffle d’une formidable humanité, qui nous déchire par sa tourmente, qui nous habite longtemps une fois la dernière page tournée. Un hommage sublime.

Un recueil troublant, percutant et dur, certes, mais d’une beauté inouïe, viscérale. FOUILLER LES DÉCOMBRES relate les atrocités de la répression d’État en Argentine – vécue de loin par la famille exilée –, happe et laisse sans voix, met le feu en pleine nuit. C’est une porte verrouillée à double tour, un immeuble brûlé et un amas de ruines. Mais c’est aussi une distance continentale, un poste de radio aux accents d’hiver et du givre sur la vitre. Et, surtout, c’est un hymne à ses racines, à la persévérance, à la survie. C’est un souffle de vie. C’est un continent entier.