Activités de Librairie Bertrand

Une proposition audacieuse et pour le moins unique dans le paysage littéraire québécois: se baser sur la structure d'un roman argentin d'Ernesto Sabato, moins bien connu dans la francophonie, et se lancer dans une enquête brésilienne entremêlant un personnage secondaire de son second roman, Françoise en dernier, un auteur américain disparu, des artistes peintre du modernisme brésilien et... le cannibalisme. Comme toujours Daniel Grenier manie les mots à la perfection et vous entraînera dans un récit où vous questionnerez sans cesse ce qui est vrai et ce qui est faux.

Quand tout fout le camp, que disparaissent les rayons du soleil, les denrées et les compagnons de vie, que reste-il à une mère pour survivre avec la chair de sa chair? L’instinct, l’espoir, et les abeilles. Peut-être. Dans ce deuxième roman après « Les sanguines » (Alto, 2016), Elsa Pépin semble observer son héroïne sous la lentille d’un microscope émotionnel qui chercherait à percer la structure des sensations : « Le fil du vivant » est un roman qui parle littéralement à vos tripes. On suit Iona la danseuse professionnelle, depuis sa jeunesse en flash-back dopé à sa vie d’épouse, jeune mère, amie et belle-sœur dans un monde à la dérive, surchauffé et inondé. Sensuel, nourricier, musclé, entraîné, « psychotropé », douloureux, noué, humide, défensif, obèse, affamé, malmené : le CORPS est au cœur de ce roman qui vous arrime comme Iona à une réalité implacable, une lente déroute environnementale et sociale cruellement tangible. Un corps qui raconte tout, se souvient, se donne, se transforme et se bat aux côtés de celle qui l’habite. Et il est ténu, ce « fil du vivant » sur lequel marchent Iona et son corps, équilibristes d’un quotidien soudain sans filet, où les certitudes comme les illusions s’écroulent en une fraction de seconde pour laisser un trou béant. Où les extrêmes se touchent et les frontières s’estompent. Avec son humble mais redoutable lucidité, le nouveau roman d’Elsa Pépin se lit dans l’urgence, se vit comme une déflagration. Du genre qui résonne longtemps.

Lire « Femme Forêt » est une expérience sensorielle complète. Troublante. Qui laisse la poitrine gonflée de sentiments en désordre, se bousculant pour sortir, exulter. Exister. Reviennent alors les mots, sans lesquels les émotions ne se racontent pas. Là aussi, dans le désordre : la délicatesse. L'amour. Le deuil. La famille et l’amitié comme noyau, socle, écorce qui écorche parfois. Et l'appel de la forêt pour retrouver cette solitude qui manque tant. De ce livre se dégage une sensualité folle, servie par la rondeur et la gourmandise des phrases. Cette façon de plonger toute entière dans la nature enveloppante, pédagogue, salvatrice. Charnelle. Un retour aux sources et un cri d’amour au sel de la terre jamais galvaudé parce que sincèrement humble. L’élégance de la dame n’a d’égale que celle de sa plume. On tombe en amour avec les humains fantastiques de ce rang isolé dans le bois, mémoires vives même une fois enterrées : les voisins romanesques (Clark Kent et une certaine Jeanne d'Arc de leurs vrais noms, s'ils vous plaît) ponctuent un récit où s'entremêlent souvenirs, désirs, espoirs et révélations au coeur d'un présent pandémique à la fois pesant et régénérant. Mais la beauté majeure de ce roman vient peut-être des enfants, racontés par une mère aimante et admirative, touchante et désarmante. Leur force fragile, leurs corps graciles, leur vigueur infatigable que seule la soudaineté du deuil vient suspendre parfois. Ce sont eux qui sans le savoir, font se tenir debout les adultes de cette baraque branlante, presque trop vivante. Ils traversent ces temps étranges avec la fougue de l’innocence et déjà le tribut de la mémoire, le poids de l’espoir. Dans l’épigraphe, l’autrice cite Romain Gary : "Ne dis pas forcément les choses comme elles se sont passées, mais transforme les en légendes. » Anaïs Barbeau-Lavalette nous livre ici ses légendes, où s’entremêlent les racines des arbres de la vallée et celles de la jeune fille devenue femme et mère. C’est d’une beauté, d’une sensibilité apocalyptiques…mais gorgé de sève, de vivant.

"Quel bruit ça fait, déjà, l'espoir qui meurt ?" Anouk Lanouette Turgeon, elle sait... Sa vie "Fretless", c'est un condensé d'émotions dépeintes avec tellement d'acuité qu'on se reconnait dans des situations jamais vécues. (Vous allez voir c'est assez déconcertant.) Un road trip intérieur de gamine, de femme et de mère face à l'impossible. Intense, furieux. Et drôle. L'autrice voulait grâce à cette autofiction (follement romanesque) que reste sur cette Terre une trace de son enfant disparue, qu'elle ne soit pas oubliée. C'est réussi parce que la petite Jade se met à vous manquer dès la dernière phrase lue. Un premier roman, une nouvelle voix assurément.