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Simon Lavoie
Intérêts littéraires : Psychologie, Essais, Littérature

Activités de Simon Lavoie

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Animal radical : Histoire et sociologie de l'antispcésime

Par Jérôme Segal
(4,5)
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L'antispécisme est défini en ouverture d'ouvrage comme une vision de la justice selon laquelle les intérêts des autres animaux doivent être pris en compte dans l'organisation des sociétés humaines, à l'encontre de leur subordination aux seuls intérêts humains. Bien que le terme ait fait son apparition dans les années 1970, Segal montre qu'une diversité d'acteurs, individuels ou collectifs, se sont positionnés en ce sens dès le 19e siècle, en Angleterre et en France notamment, d'abord autour de la protection des animaux. Radicaux, les antispécistes avant ou après la lettre l'ont été en ce qu'ils ont visé la racine (du latin radix) d'un problème humain-animal, de par leur objectif, leur discours et/ou leurs actions. Les prises de position de figures tel Marie Huot, Élysée Reclus ou Louise Michel, qui sont parmi les premières rencontrés dans l'ouvrage, attestent que la cause des animaux a été étroitement imbriquée à d'autres luttes et postures - anarchistes, socialistes et féministes - au sens desquels le rapport aux autres animaux s'identifiait à l'exercice d'une domination plus vaste. Segal s'appuie sur les revues ou journaux créés par les groupes et mouvements impliqués, les mémoires et biographies, ainsi que sur les gestes et procès qui ont porté la lutte pour les animaux à l'attention du public : sabotage de chasse, protestation contre la vivisection, et autres. À l'encontre d'une pratique historienne campant une cause, telle une essence, au sein d'un groupe unitaire (ethnie, classe ou nation) chargé de la réaliser, pratique courbant le tri et l'interprétation des événements de façon à créer l'illusion d'une nécessité de la réalisation de cette cause, Segal rend justice avec force à la diversité de lieux, des acteurs et des perspectives : du groupe réunit à Monte Vérita en Suisse où Max Weber, Franz Kafka, Hermann Hess, et Isadora Duncan notamment ont séjourné, à la commune de Dimona au sud d'Israël fondée par les African Hebrew Israelite et pratiquant un strict véganisme, aux groupes punk du mouvement Straight Edge, à Anonymous for the Voiceless (fondé en Australie), Animal Liberation Front (au Royaume-Uni), ou à L214 (en France). Une autre qualité de l'ouvrage est de dépeindre avec réalisme les tensions rencontrées à la fois par les groupes antispécistes de l'extérieur (notamment avec les reculs auxquels ont pu conduire des efforts de réforme politique pourtant appuyées par une majorité de citoyens) et de l'intérieur (alors que certains continuent de prôner le réformisme, d'autres l'abolitionnisme; alors que certains mettent la libération des animaux en priorité par rapport à toutes autres causes au motif que les animaux ne sont pas responsables du sort qui leur est fait et que la souffrance infligée est pire que la souffrance choisie, tandis que d'autres prônent ce que l'on appelle aujourd'hui l'intersectionnalité). Le lecteur découvre ici un pan vivant et méconnu des idées et pratiques récentes visant à transformer et enrichir notre vie morale au contact des autres animaux, ainsi que la vaste étendue des ramifications géographiques des transformations et résistances associées ; pan au service duquel Segal met une écriture alerte, vive et habile. Un livre clair, documenté, comportant, en plus d'une bibliographie, le résultat d'entrevues et d'observations terrain menées par Segal en France et au Québec (à Montréal) pour mieux attester de la diversité contemporaine des engagements et des tonalités; livre duquel tous peuvent apprendre.
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L'esprit organisé : mettez de l'ordre dans vos idées

Par Daniel J. Levitin
(3,0)
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La thèse centrale de ce livre est qu'il nous est possible de déléguer le travail de filtrage attentionnel et de mémorisation à des supports extérieurs - classeurs, aides-mémoires, systèmes de notes, autres personnes. Si cette délégation prend du temps et peut devenir un problème en elle-même (peut-elle être comprise par d'autres agents, notre classification peut-elle être exhaustive, y a-t-il des priorités non sujettes à être révisées), la maîtrise de cette délégation ou extériorisation serait une clef pour réussir, professionnellement et socialement (les gens à très haut rendement auraient réussit à déléguer à d'autres le filtrage et à accéder rapidement à leur zone de flow, de pleine présence à ce qu'ils font). Les forces du livre sont qu'il couvre un très large territoire, allant d'une neuroanatomie des fonctions attentionnelles et mémorielles (filtrage, commutation, catégorisation, stockage, accès séquentiel ou aléatoire), des divers modes de catégorisations opérés sur un mode plus ou moins conscient (catégorisation selon les propriétés perceptives fines ou grossières, selon des équivalences fonctionnelles ou des groupements situationnels), aux opérations de consolidation, relecture et reclassement des souvenirs opérés lors du sommeil profond (il s'agit là d'un des passages les plus stimulants du livre à mes yeux). Il porte sur un aspect relativement peu estimé ou reconnu, en contexte professionnel, de la pensée créatrice, qui consiste en la suspension de l'auto-critique ou auto-évaluation (soit, de la fonction dite de l'exécutif central, centrée sur la réalisation d'objectif, l'inhibition des impulsions, la mémoire de travail), et en la liberté d'association de type "rêve éveillé" (aussi dit, mode de fonctionnement par défaut de la pensée; celui qui rend Ulysse de Joyce difficile à saisir, celui sur lequel les travaux d'inspiration bouddhiste ont attiré l'attention, un mode sauvage, indiscipliné, incohérent). La dyade exécutif central / rêve éveillé est bien campée et illustrée tout au long du livre. Une portion particulièrement intéressante concerne l'antinomie entre, d'une part, la qualité de la réflexion et de la résolution de problèmes nouveaux, requérant des connexions entre des aires ou des souvenirs enfouis peu connectés d'ordinaire, et, d'autre part, les interruptions répétées, les commutations ou alternances rapides des champs attentionnels - le "multi-tâche" dégraderait la qualité de la pensée au même titre que l'ivresse ou la consommation de drogues (p.531-532). Levitin nous offre également, dans l'esprit de l'économie comportementale, une bonne raison de croire que, même les médecins ne se livrent pas avec aisance au raisonnement probabiliste de type bayésien. Les faiblesses du livre tiennent en ce que, passé les premiers chapitres sur la mécanique attentionnelle et mémorielle, il prend une allure de cours d'introduction au travail d'assistant de direction ou secrétariat (comment classer vos courriels, vos lettres, vos dossiers). Surtout, il s'étend trop longuement dans de trop nombreuses directions, sans une suite claire et engageante dans les idées -- il ne vous tient pas en haleine, ne suscite que peu la curiosité, et aurait pu étonner davantage. Ceci se confirme par la conclusion faible, pâlotte, qu'il livre. Si vous n'avez pas des raisons précises de lire ce livre, il ne vous en fournira pas de continuer à le lire et de le terminer, et malheureusement, vous ne le terminerez pas avec le sentiment d'avoir saisi quelque chose de nouveau et d'essentiel. Si Levitin s'était concentré à faire de sa thèse centrale un guide pratique, plutôt qu'un propos disséminé dans un océan de considérations connexes, il aurait pu mieux m'aider à fonctionner dans la réalité (plutôt qu'à fonctionner sur le mode hors ligne dont je suis devenu citoyen d'honneur).
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21 Lessons for the 21st Century

Par Yuval Noah Harari
(5,0)
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Harrari répond aux interrogations suscitées chez ses lecteurs par Sapiens et Homo Deus de manière à favoriser la prise de conscience des trois enjeux majeurs que constituent la fusion des technologies de l'information et de la biotechnologie (fusion en une même pensée nommée dataïsme, pour laquelle tout organisme vivant consiste en algorithmes de résolution de problèmes), la menace de guerre nucléaire, et les changements climatiques. Il clarifie d'emblée sa préoccupation quant à la capacité de la plupart d'entre nous, non seulement à se prononcer, mais plus encore à peser sur les évolutions à venir, qui semblent toutes placer sous cette nouvelle figure du pouvoir qu'est l'accès aux méta-données / big data (en quoi se condensent toutes informations que nous produisons et mettons en ligne - âge, sexe, lieu de résidence, occupation-passe-temps, profession, etc.). Si vous n'avez ni le temps ni l'énergie pour considérer les enjeux abordés ici, dit-il d'emblée, l'histoire ne vous fera pas de cadeau et se fera sans, voire malgré, vous. Une portion particulièrement intéressante de sa réflexion consiste à départager les forces de la critique dite culturaliste de l'immigration massive, des faiblesses du nationalisme, qui sont celles d'anciennes élites discréditées par des avancées technologiques qu'elles ne maîtrisent pas, et par des enjeux sur lesquels elles sont incapables d'offrir des réponses sérieuses (c'est-à-dire globales). En continuité avec la thèse centrale de Sapiens, le rôle est souligné des fictions collectives englobantes dans la production et l'entretien de réseaux de coopérations massifs et souples qui feraient l'unicité de notre espèce; fictions réduisant l'incertitude et motivant aux interactions sur des buts conjoints entre inconnus (se référer à un même dieu ou une même tribut, une même nation ou compagnie vous rend familiers). Ces réseaux ont pris diverses formes au fil du temps, dont les nations et les compagnies. Ils soutiennent la création d'une intelligence collective incroyablement plus productive que (mais ne dispensant pas de) l'intelligence individuelle. Divers philosophes (dont John Searle) et psychologues (dont Michael Tomasello) ont donné à cette perspective des appuis solides, et je suis enclin à la soutenir. Les humains, résume Harrari, ne pensent pas en chiffres et en colonnes, bien qu'ils puissent y être amenés, mais en récits. Une préoccupation au cœur de l'ouvrage, traversant l'ensemble, concerne le possible épuisement de l'humanisme libéral comme récit, après son triomphe sur ses rivaux : l'humanisme évolutionniste (qui s'est collé au fascisme et au nazisme sans retour) et l'humanisme socialiste (misant sur une éducation forcée à l'altruisme et sur la transmission des caractères acquis). L'humanisme libéral mise sur le travail discipliné de découverte de soi, sur le raffinement de la sensibilité pour distiller des enseignements riches des expériences vécues. Prenant l'unicité du point de vue individuel et sa non-interchangeabilité (personne ne peut ressentir exactement ce que je ressens), cet humanisme y confère la seule autorité qui vaille, en politique, économique, éthique et esthétique. Aucune autorité ne saurait se revendiquer comme étant supérieure à celle du vote de l'électeur, à l'achat du consommateur, au sentiment du bien et du beau du spectateur. Ce qui, selon Harrari, se lit comme un épuisement de l'humanisme revient assez largement en un retournement des forces qu'il a libéré - forces d'intensification de la santé, du bonheur - contre l'intériorité individuelle qu'il a érigé en maître du monde. Définissant, fût-ce implicitement, la mort et la maladie comme des violations de droits jugés sacrés à la santé et au bonheur, la pensée humaniste libérale alimente la création des forces de l'intelligence artificielle et du génie génétique, voire du transhumanisme opérant des hybridations en quête de la vie éternelle. L'intelligence artificielle, alimentée au données produites quotidiennement et en quantité astronomique par les utilisateurs de médias sociaux et diverse plateformes, parvient à décrypter l'intériorité, du moins à prévoir les comportements et les préférences de chacun, avec une efficacité que Harrari estime devoir être considérée comme supérieure à celle de l'introspection. L'IA nous connaît mieux que nous-mêmes, observe-t-il. L'externalisation de l'autorité, sa localisation entre les mains d'algorithmes maniant avec une rapidité déconcertante une quantité ahurissante d'informations, joue à l'encontre de l'humanisme libéral selon la lecture qu'en fait Harrari. La capacité de cette religion laïque à s'imposer et à faire loi dans les domaines que parcourt l'ouvrage, sur celle des régimes autoritaires est mise en doute, et la partie sur le devoir de modestie fait office de voie de résolution possible, elle-même modeste, à ce problème.
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La guerre des intelligences

Par Laurent Alexandre
(3,5)
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Sur fond d'un constat sévère sur les retards de l'Europe comme acteur dans l'industrialisation de l'intelligence artificielle, à la remorque de la zone Asie-Pacifique, l'ouvrage plaide pour une rénovation complète de l'éducation. Son programme est celui d'une neuroéducation complètement individualisée, débutant au stade de la sélection embryonnaire, s'étendant sur l'ensemble de la vie, sans salle de classe ni examen, et visant à démocratiser les quotients intellectuels à la Elon Musk (voire, à la Leibniz) pour éviter le kidnapping de l'IA et de la robotique par les seuls partisans du transhumanisme (de l'Homo Deus). Les difficultés du livre tiennent largement en l'acceptation qu'il force, malgré les limites timidement soulignées de la mesure de l'intelligence, des fortes corrélations de celle-ci avec la situation socioéconomique (le niveau de revenu), la longévité, et la capacité innovante. Une dizaine de jeunes programmeurs doués, créant Whatsapp, générant en un an plus de valeur que Renaud avec ses milliers d'employés peu qualifiés en 5 ans. La finalité eugéniste prônée peuvent être rebutante, mais elle est avancée comme conforme à une visée d'égalité, de non-subordination impuissante aux décisions à venir. Laurent Alexandre livre une réflexion détaillée et recommandable, tant dans l'historique qu'il retrace de l'IA, de son hiver sorti de Dartmouth college aux projets Neuro link et consort, que dans la conscience qu'il manifeste des enjeux et scénarios / basculements possibles : allant d'IA forte indépendante et hostile, à supérieure mais paternaliste, en passant par coopérative et complémentaire (et une dizaine d'autres). Comment et peut-on légiférer un domaine qui concerne une capacité dont nous commençons seulement à avoir une vision un peu rigoureuse, et sans savoir ce que nous voulons et pouvons vouloir ? Il offre une vision globale qui pèse et sous-pèse plusieurs postures contrastées; une vision ancrée sur un ensemble de valeurs dites humanistes et technologues campées sur un bien commun étendu, dont Bill Gates, consacrant sa fortune à combattre la maladie et la sous-scolarisation en Afrique, fait office de modèle. Je suis venu à ce livre après Homo Deus: A History of Tomorrow de Harrari. Ce dernier manifeste une conscience plus aiguisée de la contingence et de l'impossibilité de prévoir l'avenir (par contraste, Alexandre semble se prononcer sans hésitation sur les décisions qui seront prises dans vingt, trente, quarante et soixante ans), en même temps qu'il est moins riche en ce qui a trait aux scénarios possibles. Une des différences entre Alexandre et Harrari tient en ceci que le second estime que le développement de l'IA externalise dans les algorithmes l'autorité que les religions humanistes ont logé dans un laborieux travail de connaissance de soi; alors qu'Alexandre tend à considérer que ce développement peut mener à un renchaussement / réinvestissement de la connaissance de soi (fût-ce du fait des contacts qui deviendront réels avec des formes d'intelligence hybrides inédites; et fût-ce parce que le pouvoir de définition des problèmes et des limites relève de notre juridiction, et ne peut être d'emblée concédé au domaine de l'IA forte). Une autre différence tient en ceci que Harrari doute que les fonds publics soient mis à contribution pour égaliser l'accès à la neuroaugmentation. Il formule ce point en faisant l'hypothèse que, à la différence des masses prolétaires du siècle dernier (énorme pouvoir économique irremplaçable s'alliant à un pouvoir politique faible ou inexistant) les masses du futur qui seront déqualifiées par les progrès rapides de l'IA seront inutiles et économiquement et politiquement. Alexandre suppose que la perspective d'un État providence travaillant à généraliser la neuroaugmentation est d'autant plus plausible que le sens même de la solidarité tel qu'il s'est historiquement forgé consisterait à tenter de diminuer les décalages entre le niveau de richesse qu'apporte à une minorité son quotient intellectuel élevé, et celui de sa contrepartie sous- ou moyennement-douée. Une tension semble diviser l'ouvrage entre une partie où Alexandre s'est persuadé que l'intelligence est génétiquement déterminée à 50% (voire au 2/3 de ses variations individuelles), et où l'acceptation d'un futur neuro-augmenté prend des allures de marche ou crève; et une partie où il concède à Kevin Kelly que l'intelligence est multiple, et que, l'intelligence artificielle n'exacerbant souvent qu'un ou quelques unes de ses facettes (y compris certaines inconnues), le scénario de la complémentarité du fait de faiblesses mutuelles humains/machines prend des allures de jeu à multiples inconnus, qui comprend un droit au hasard et à la déconnexion. Le programme de la neuroéducation prôné, sans prendre tout à fait partie pour un des scénarios esquissés, penche vers l'hypothèse de Kelly, ainsi qu'en témoigne l'identification de ce programme à la tâche de tendre, de manière dynamique et souvent remise à jour, vers une mesure du quotient de complémentarité avec l'IA en guise de remplacement du QI. Dans le même ordre d'idée, Alexandre s'entend avec le paléoanthropologue Pascal Picq à l'effet que nous avons tout intérêt à respecter les autres animaux et leur intelligence, de manière à mieux nous protéger du sort que nous leur réservons, entre les mains d'une IA planétaire s'estimant supérieure et fondée à nous élever comme ses condiments. Bref, il s'agit d'un livre stimulant, riche, distanciant certains lieux communs, servant bien ses objectifs de (préparer à) regarder sérieusement ce que l'éducation et l'intelligence peuvent devenir.
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Prochain épisode

Par Hubert Aquin
(4,42)
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Survivance : histoire et mémoire du XIXe siècle canadien-français

Par Éric Bédard
(4,0)
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Le maintien d'un pouvoir politique et d'une identité collective canadiens (français) dans les circonstances hostiles qui font suite à l'écrasement du mouvement des Patriotes et à l'Act d'union constitue le problème phare autour duquel sont reconstituées les prises de position d'un certain nombre de figures clefs de l'époque : Louis-Hippolyte Lafontaine (chapitre 5), Joseph-Édoudard Cauchon (chapitre 6), Philippe Aubert de Gaspé (chapitre 8), Octave Crémazie (chapitre 9). Ce maintien des plus improbable était un problème de premier plan pour les acteurs de même que pour des générations successives d'historiens qui se sont escrimés à démontrer des continuités ou (plus souvent) des discontinuités et incompatibilités entre libéralisme, modernité, et appartenance collective (nationale), de même qu'à dresser des procès sévères aux anciens patriotes devenus artisans, dans certains cas, du régime constitutionnel. Les mérites de Éric Bédard sont nombreux. Au premier chef, il parvient à mettre à distance des postures d'historiens assoiffés de généralisations et de jugements englobants, qu'ils soient d'ascendance marxiste, "foucaldienne", inspirés de l'école des Annales ou d'une vision dépréciative de la résistance au libéralisme économique. Quels étaient les réels choix et motivations déclarées des acteurs dans les circonstances ? Existe-t-il une unique voie d'accès à la modernité (culture des libertés) ? Les élites politiques francophones se sont-elles alliées à une Église fondamentalement réactionnaire ? Éric Bédard offre des réponses stimulantes à de telles questions en laissant s'exprimer un éventail de prises de position qui, selon son habile formule, amène le lecteur à "communier à l'humanité" d'acteurs qui, pour être éloignés de lui dans le temps et les circonstances, n'en sont pas moins vibrants des mêmes passions fondamentales.
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Appartenir au Québec

Par Denise Helly et Nicolas Van Schendel
(4,0)
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Cet ouvrage expose les résultats d'une enquête par entrevue auprès de nouveaux Québécois de 35 à 40 ans, établis depuis 10 ans, originaires de six pays (Haïti, Inde, Salvador, Maroc, Vietnam, France) ainsi que des Québécois d'ascendance canadienne-française. Les participants partagent leurs visions et sentiments de ce que sont la citoyenneté, le peuple, la nation, les États fédéral et provincial, la vie ordinaire au sein de la société civile (rencontres et interactions anonymes dans les parcs, cours d'école, sur les rues), la protection du français (loi 101), la discrimination positive, le soutien aux organismes ethno-culturels, la mondialisation. Leurs conceptions se répartissent sur un gradient allant d'une citoyenneté républicaine culturellement située (qui implique le devoir de partager et de participer de l'avancement d'un projet collectif défini par la majorité démocratique, soit par un peuple dépositaire d'un patrimoine culturel) à une conception entièrement négative (la citoyenneté n'a aucune signification sinon celle d'un permis de séjour; les répondants n'ont aucune appartenance, ni au Québec, ni au Canada, ni au pays d'origine), en passant par des intermédiaires tels le libéralisme formel (la citoyenneté repose uniquement sur la disposition de droits et de protections individuelles, sans adhérence à un projet collectif - les tenants de cette position estiment que la protection du français est illégale et immorale, que la notion de peuple est anachronique et dépassée), le séparatisme culturel au sein d'un Canada uni (des héritiers de Honoré Mercier) et le Canada uni comportant des variations régionales (le Québec comme une variété parmi d'autres). Les 5 positions qui se dégagent avec cohérence des entrevues ont pour bases de différenciation reconnaissables : la proximité du pays d'origine avec la France, l'Angleterre ou les États-Unis; la connaissance préalable du français ; le niveau d'éducation, la similitude ou affinité ressentie entre les parcours nationaux du pays d'origine et le Québec (lutte de libération nationale et résistance contre l'américanisation de la culture), les résistances que les participants ont rencontré ou non au sein de la société quant à leur prétention d'appartenance. Les participations qui ont été constamment renvoyés à leur étrangeté- statut d'immigrant regardé avec méfiance voir condescendance - , et qui vivent leur intégration sociale et ou professionnelle au Québec comme un échec, tendent à épouser une conception négative de la citoyenneté, et une adhésion unique au Canada, bien que cette variable ne soit pas la seule à cause. La variété d'opinions et de jugements portés sur le Québec, son projet d'affirmation nationale (au moment de l'enquête, située dans la période pré-référendaire) et sur l'institutionnalisation du pluralisme culturel (rejetée corps et biens par plusieurs aux noms d'une peur de l'érosion culturelle du Québec ou au nom du caractère privé des différences culturelles) que cette enquête révèle peut être facilement sous-estimée et gommée par une adhésion unilatérale à l'actualité (médias-sociaux aidant) polarisante et simplificatrice. L'immigrant, s'il est par principe l'allié naturel du statu quo fédéraliste, platement individualiste et mondialiste, ne se fonde pas systématiquement dans ce moule. Ne serait-ce que pour en administrer la preuve, certes limitée (84 participants), Appartenir au Québec mérite notre attention.
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Remède imaginaire (Le)

Par Benoît Dubreuil et Guillaume Marois
(5,0)
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L'idée voulant que l'immigration réduise la pression du vieillissement de la population sur les finances publiques en palliant à une pénurie de main d'oeuvre (et partant, à une diminution des impôts) s'est imposée au Québec, estiment Dubreuil et Marois, aux alentours de 2007. Elle s'est affirmée dans les consultations publiques menées cette même année par la ministre Yolande James en prévision de l'adoption d'une politique de hausse des seuils. Elle s'est imposée unanimement, depuis, dans l'opinion publique, dans la sphère médiatique, dans tous les partis, au sein du conseil du patronat autant que des centrales syndicales. Un consensus aussi vaste et persistant, qui est pour le moins inhabituel (pour ne pas dire : sans équivalent) en démocratie, doit s'appuyer sur de solides preuves, est-on fondés, intuitivement, à conclure. Prenant appui sur les mémoires déposés lors des consultations de 2007, sur une vaste littérature démographique et économique produite au sein des pays développés (États-Unis, Royaume-Uni, Canada-Québec, Europes nordique, occidentale et méridionale), Dubreuil et Marois démontrent qu'il n'en est rien : la capacité de l'immigration à contrer les effets du vieillissement et à redresser les finances publiques de manière significative (au-delà d'un effet marginal) n'a aucun fondement empirique. Dans cette foulée, et toujours à partir d'une exposition détaillée de recherches, ils s'attaquent aux convictions tenaces et répandues selon lesquelles : le Québec intègrent moins bien les immigrants que le reste des provinces canadiennes (une thèse qui ne tient pas compte du revenu - y a-t-il intégration et redressement d'un déséquilibre dans les finances publiques par l'intermédiaire d'un travail qui vous maintien sous le seuil de pauvreté et qui vous fait payer un montant dérisoire d'impôt, if at all ?), le problème d'intégration loge uniquement du côté des employeurs et du racisme de la population en général (voir le point 2 ci-après); il existe des solutions simples pour permettre à l'immigration de livrer son plein potentiel (une meilleure reconnaissance des formations et expériences acquises à l'étranger, du mentorat, une offre plus soutenue de formation d'appoint-mise à niveau, à commencer par la francisation, notamment); l'immigration permet de lutter contre la perte de poids politique et démographique du Québec au sein du Canada. L'émotivité et la toxicité (emprisonnement dans la rectitude politique) des débats entourant l'immigration comptent, selon les auteurs, parmi les raisons pour lesquelles les démographes et les économistes se sont abstenus de prendre position publiquement lors des consultations de 2007, alors même que leurs études, celles soumises dans ce contexte et disponibles au-delà, ne permettent aucunement d'affirmer que l'immigration joue effectivement le rôle démographique et économique qui en est attendu. Exception à cette règle, Victo Piché pour qui elle pourrait jouer un tel rôle. Je me bornerai ici à reconstituer deux des nombreux arguments de l'exposition puissante, voire bouleversante, à laquelle se livrent Dubreuil et Marois. 1. ll y a une impossibilité mathématique à contrer le vieillissement Le taux de fécondité qui prédétermine la structure par âges de la population que l'immigration doit permettre de corriger et de redresser est de 4,1 enfants par femme. Enregistré dans les années 1950, il est le taux de référence de la démographie québécoise. Quel aurait été le nombre de naissances (à hauteur du taux de référence) chaque année jusqu'à aujourd'hui et ce, à partir de 1970 - moment à partir duquel le taux a chuté vers les 1,3 enfant / femme actuel ? Soustraire le nombre de naissances réelles du nombre de naissances découlant du taux de référence donne le nombre d'immigrants en âge de travailler qui s'avère nécessaire à assurer un équilibre de la pyramide des âges. Citant une étude démographique effectuée dans un autre pays confronté au même problème que le Québec (la Corée du Sud), il en résulte, pour cette population estimée à 50 millions d'habitants, la nécessité d'accueillir annuellement plus 90 millions d'immigrants pour déroger d'une dynamique de vieillissement campée par un taux de référence élevé. Lutter contre le vieillissement créé par un taux de référence élevée est une tentative vaine, comme remplir une chaudière sans fond (ou, selon l'expression puisée de la mythologie par le démographe Henri Léridon, un "tonneau des Danaïdes"). Utilisant les données disponibles grâce au recensement, et suivant la règle de calcul esquissée, Dubreuil et Marois démontrent que, en 2006, la structure par âge de la population québécoise aurait été identique à ce qu'elle a été réellement même si aucun immigrant n'était venu s'y établir au cours des 35 années antérieures. Le rapport de dépendance (le nombre de Québécois âgés de plus de 65 ans / nombre âgé entre 15 et 64 ans) et l'âge moyen de la population n'auraient respectivement changés que de -0,02 (rapport de dépendance) et de -0,1 (âge moyen). Aussi bien dire : d'un rien. Les seuls démographes cités comme ayant une vision différente, calculant favorablement la capacité de l'immigration à lutter contre le vieillissement de la population, estiment que des immigrants en âge de travailler (idéalement entre 40 et 44 ans), sans enfant ni conjoint ni parents pour venir les rejoindre sont les candidats idéaux - ce à quoi les auteurs objectent : mais dans quels pays ces millions d'immigrants nécessaires à rétablir notre structure par âge habitent-ils ? 2. La discrimination ne peut se maintenir indéfiniment sur un libre marché Des travailleurs discriminés uniquement pour des raisons ethniques (couleur de peau, religion, nom à consonance exotique) et non pour des raisons de compétence forme un bassin de main d'oeuvre que le premier entrepreneur avisé peut exploiter, à profit. Dans cette hypothèse, les travailleurs exclus sont tout aussi compétents que les travailleurs natifs ou travailleurs proches ethniquement des employeurs, mais comme aucun employeur n'en veut, il est possible de les engager à moindre coût. Sur un marché libre, une main d'oeuvre aussi compétente que celle de votre compétiteur, capable de réaliser les mêmes tâches aussi bien, à moindre coût, est un avantage concurrentiel des moins négligeables qui soient. Or, aucun employeur ne semble jamais s'être prévalu d'un tel avantage, il s'ensuit que les travailleurs exclus ne le sont pas que pour des motifs ethniques, mais pour leur manque de compétences. Cette hypothèse est cohérente avec le fait que le changement de provenance de la majorité des immigrants admis au pays depuis les années 1990 s'accompagne d'une détérioration notable de leur performance sur le marché de l'emploi (sous-emploi, chômage, bien-être social, dépendance envers les transferts gouvernementaux). Non plus issus des pays dits traditionnels, tels les États-Unis ou la France, mais de pays en voie de développement en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, les immigrants n'y ont pas développé, avant leur arrivée, de compétences adaptées à une économie de service ni, par surcroît à une économie de service concurrentielle - compétences en informatique, en communication, en traitement-résolution de problèmes, notamment. Nous tenons ici une preuve que la notion de compétence ne peut être prise comme étant a-contextuelle (comme étant indépendante d'un contexte de formation réel), et qu'elle ne le peut qu'au prix d'attentes mutuellement frustrées (tant du côté des immigrants que du côté de la société d'accueil). L'immigration est un phénomène complexe, comme il est reconnu tout au long de l'ouvrage, phénomène sur lequel un contrôle exhaustif et satisfaisant est probablement hors de portée (pour la même raison qu'est hors de portée l'établissement d'un système objectif d'évaluation de tous les diplômes et de toutes les expériences de travail acquis par des centaines de milliers d'immigrants, dans des milliers d'universités et autant d'entreprises à autant de moments différents) ; phénomène sur lequel il est possible d'avoir une diversité de perspectives (morale, humanitaire, culturelle, linguistique, politique, etc.). Considérée uniquement sous les angles démographiques et économiques, comme ici, n'est pas un choix propre à rendre l'immigration moins complexe (calculer les coûts et les bénéfices du parcours des immigrants sur 10, 20, 30 et 40 ans relève du pur prodige), mais propre, idéalement, à ajuster intelligemment nos attentes à son égard (ce qu'il reste à faire). Les auteurs ne se limitent pas à dresser un portrait par le menu détail des problèmes posés, plutôt que résolus, par l'immigration ; ils esquissent également plusieurs pistes de solution qui incluent la stimulation de la fécondité québécoise, la redéfinition de l'âge de la retraite, la correction des irrégularités enregistrés par le vérificateur général (Renaud Lachance, à l'époque) dans les entrevues de sélection des candidats à l'immigration économique; un resserrement des conditions d'éligibilité et une concentration sur l'immigration traditionnelle (en provenance de pays ayant des économies et des cultures du travail - compétitives, comparables, dont les États-Unis).
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Antilibéralisme au Québec au XXe siècle (L')

Par Gilles Gagné
(3,0)
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D'abord fabulations d'illuminés (philosophes et/ou mendiants) et d'aristocrates dégradés au rang de commis (voir la période axiale, Robert Bellah Religion in Human Evolution: From the Paleolithic to the Axial Age), les idéaux de liberté, d'autonomie et d'égalité sont devenus, avec le passage des siècles, centraux à la conscience d'eux-mêmes qu'ont les gens ordinaires; centraux à l'organisation des méga-groupes sociaux (le signe de leur modernité). Pourtant, en même temps que ces groupes (leurs élites) inscrivaient ces idéaux à même leurs lois et institutions, ceux-ci se heurtaient à une part d'eux-mêmes (l'économie devenue capitaliste et industrielle) leur échappant et recomposant, envers et contre leur gré, de larges pans de leur vie sur un mode proche de l'insulte. S'approprier la notion de la création de soi tout en perdant, simultanément, sa condition de réalisation collective délibérée : telle est cette crise de la modernité à laquelle ont répondu les régimes totalitaires durant la 1ere moitié du siècle dernier (crise que l'on peut regarder comme une réverbération lointaine de celle, fondatrice et inaugurale, de la période dite axiale, datant de ± 1 500 avant l'ère chrétienne). De quelle manière le Québec a traversé cette crise du début 20e, et quelles réponse lui ont été apportées ? Telles sont les questions auxquelles les contributeurs du présent ouvrage (du présent compte-rendu de colloque) tente de répondre. Brièvement... le créditisme reconstitué à grands traits par Gilles Bibeau est une réaction de petits commerçants (épicier, dépanneur, station service...) à leurs disqualification-élimination par les trust et les milieux d'affaire dominés par les anglo-saxons, réaction s'appuyant sur une conception que l'on pourrait qualifier de finitiste de l'économie et des besoins (il existe un nombre déterminé de biens de consommation circulant dans une économie nationale, le devoir d'une administration bien comprise est d'assurer qu'une quantité suffisante d'argent soit produite pour assurer que chaque citoyen puisse s'acheter la totalité de ces biens, supposant que l'argent soit utilisé pour une unique transaction - du finitisme radical). Bibeau reconstitue les sources de ce mouvement, ainsi que son évolution au Québec (et dans une moindre mesure au Canada). Le corporatisme présenté par Sylvie Lacombe est une réponse du clergé à la montée de la lutte de classes, réponse s'appuyant sur la doctrine sociale édictée dans un encyclique papal valorisant la collaboration sous la référence à un but commun supérieur aux motifs d'affrontement. En dépit de son caractère circonscrit, une telle structuration du social s'est largement répandue à l'ensemble des sociétés à économie libérale (à commencer par les New Deal aux États-Unis et au-delà). Le syndicalisme de combat, estime Jean-Marc Piotte, s'est constitué suivant des inspirations marxiste et anarchique valorisant la lutte contre les pouvoirs et la propriété privée. Culminant dans les années 1970, il s'est affaissé avant d'être remplacé par une recherche de partenariat où l'offensive disparaît derrière une tentative de préserver les acquis des travailleurs avec ancienneté au détriment des nouvelles générations; disparue, également, derrière un ralliement à la cause nationale (aux côtés du PQ de du Bloc, ralliement regardé comme un abandon de la "question sociale"). La démocratie de participation, telle qu'instaurée principalement avec le Bureau d'aménagement de l'est du Québec, représente, écrit Jean-Jacques Simard, une tentative pour installer l'intelligence organisée (universitaire, technique, scientifique) au service des besoins, d'installer le citoyen via l'expert aux commandes du développement urbanistique; tentative s'étant attiré l'hostilité des politiciens (maires) traditionnels et du clergé, avant de se retourner, de consultation en vue de définir les plans, en écoute afin d'imposer des décisions. En dépit de son caractère circonscrit à l'exemple discuté, la participation est l'une des rares innovations présentés dans le cadre de cet ouvrage à avoir eu une postérité jusqu'à nous, quoi que sous une forme dénuée, souvent, des espoirs ayant bercé leur naissance. Ces contributions forment l'essentiel de l'ouvrage, de sa partie centrée sur le Québec. Michel Freitag clôt le colloque avec une présentation volumineuse (plus de 50 pages, soit 5 fois la dimension moyenne des contributions précédentes) sur le totalitarisme : (i) l'exemple du nazisme, (i.i) sa capacité à faire fond sur une pluralité d'idéologies de crise (chez les travailleurs, dans la jeunesse, au sein de la classe politique, du milieu des affaires) par (i.ii) la création d'une mystique (une altérité substantivée comme la source des humiliations du peuple allemand, un mouvement volontariste gravitant autour de l'identité délirante du Fuhrer), et par (i.iii) la conversion opérationnelle de cette mystique (l'exerce quotidien banalisé de la terreur faisant fond sur les valeurs petites- bourgeoises du respect del 'ordre et de l'autorité, et plus largement du travail bien fait). Ces points servent à distinguer le totalitarisme dans ses facettes circonstancielles et ses facettes essentielles ou formelles qui en font la spécificité. Sa spécificité formelle - la dissolution de la distance entre le pouvoir et sa source de légitimité, entre la norme et la réalité, entre les sujets empiriques et idéaux - est ensuite rapprochée point par point avec ce que Freitag nomme postmodernité, ou règne actuelle de la gestion décisionnelle-opérationnelle. Cet exposé de Freitag est, comme en général pour cet auteur, d'une lourdeur, d'une noirceur et d'une difficulté de lecture tout aussi considérables que puissamment documenté et finement analysé. La forme du colloque ou séminaire (baptisé d'après le sociologue Fernand Dumont), colloque fermé où chaque présentation est associée à un commentateur ayant préalablement lu la contribution à débattre, colloque, également, où chaque présentation suivie de commentaire s'enchaîne sur une discussion en plénière, est inhabituelle et présente d'abord l'inconvénient d'offrir aux lecteurs ce qui s'apparent à un plan de livre - davantage qu'un livre, les réflexions et remues-méninges ayant précédé et impulsé sa rédaction. Mais après une certaine phase d'habituation, il s'avère stimulant d'accéder à des échanges de vue qui laissent aux arguments alternatifs, aux nuances et aux désaccords la chance de s'exprimer et d'enrichir la réflexion. La principale lacune de l'ouvrage tient en l'absence de définition du Libéralisme. Ce dont il s'agit à chaque fois (pour les créditistes, pour les syndicalistes, pour les participativistes, pour les corporatistes), est-ce une seule et même doctrine ou théorie sociale (ou politique, ou économique) ? Alors que tous se rapporteraient au libéralisme et prendraient consistance par opposition ou volonté d'en corriger les conséquences, ce manque à gagner définitionnel créer un flou considérable et attentatoire à l'utilité de l'exercice. De quelle manière le Québec a traversé cette crise du début 20e, et quelles réponse lui ont été apportées ? Telles sont les questions auxquelles les contributeurs du présent ouvrage (du présent compte-rendu de colloque) tente de répondre. Brièvement... le créditisme reconstitué à grands traits par Gilles Bibeau est une réaction de petits commerçants (épicier, dépanneur, station service...) à leurs disqualification-élimination par les trust et les milieux d'affaire dominés par les anglos-saxons, réaction s'appuyant sur une conception que l'on pourrait qualifier de finitiste de l'économie et des besoins (il existe un nombre déterminé de biens de consommation circulant dans une économie nationale, le devoir d'une administration bien comprise est d'assurer qu'une quantité suffisante d'argent soit produite pour assurer que chaque citoyen puisse s'acheter la totalité de ces biens, supposant que l'argent soit utilisé pour une unique transaction - du finitisme radical). Bibeau reconstitue les sources de ce mouvement, ainsi que son évolution au Québec (et dans une moindre mesure au Canada). Le corporatisme présenté par Sylvie Lacombe est une réponse du clergé à la montée de la lutte de classes, réponse s'appuyant sur la doctrine sociale édictée dans un encyclique papal valorisant la collaboration sous la référence à un but commun supérieur aux motifs d'affrontement. En dépit de son caractère circonscrit, une telle structuration du social s'est largement répandue à l'ensemble des sociétés à économie libérale (à commencer par les New Deal aux États-Unis et au-delà). Le syndicalisme de combat, estime Jean-Marc Piotte, s'est constitué suivant des inspirations marxiste et anarchique valorisant la lutte contre les pouvoirs et la propriété privée. Culminant dans les années 1970, il s'est affaissé avant d'être remplacé par une recherche de partenariat où l'offensive disparaît derrière une tentative de préserver les acquis des travailleurs avec ancienneté au détriment des nouvelles générations; disparue, également, derrière un ralliement à la cause nationale (aux côtés du PQ de du Bloc, ralliement regardé comme un abandon de la "question sociale"). La démocratie de participation, telle qu'instaurée principalement avec le Bureau d'aménagement de l'est du Québec, représente, écrit Jean-Jacques Simard, une tentative pour installer l'intelligence organisée (universitaire, technique, scientifique) au service des besoins, d'installer le citoyen via l'expert aux commandes du développement urbanistique; tentative s'étant attiré l'hostilité des politiciens (maires) traditionnels et du clergé, avant de se retourner, de consultation en vue de définir les plans, en écoute afin d'imposer des décisions. En dépit de son caractère circonscrit à l'exemple discuté, la participation est l'une des rares innovations présentés dans le cadre de cet ouvrage à avoir eu une postérité jusqu'à nous, quoi que sous une forme dénuée, souvent, des espoirs ayant bercé leur naissance. Ces contributions forment l'essentiel de l'ouvrage, de sa partie centrée sur le Québec. Michel Freitag clôt le colloque avec une présentation volumineuse (plus de 50 pages, soit 5 fois la dimension moyenne des contributions précédentes) sur le totalitarisme : (i) l'exemple du nazisme, (i.i) sa capacité à faire fond sur une pluralité d'idéologies de crise (chez les travailleurs, dans la jeunesse, au sein de la classe politique, du milieu des affaires) par (i.ii) la création d'une mystique (une altérité substantivée comme la source des humiliations du peuple allemand, un mouvement volontariste gravitant autour de l'identité délirante du Fuhrer), et par (i.iii) la conversion opérationnelle de cette mystique (l'exerce quotidien banalisé de la terreur faisant fond sur les valeurs petites- bourgeoises du respect del 'ordre et de l'autorité, et plus largement du travail bien fait). Ces points servent à distinguer le totalitarisme dans ses facettes circonstancielles et ses facettes essentielles ou formelles qui en font la spécificité. Sa spécificité formelle - la dissolution de la distance entre le pouvoir et sa source de légitimité, entre la norme et la réalité, entre les sujets empiriques et idéaux - est ensuite rapprochée point par point avec ce que Freitag nomme postmodernité, ou règne actuelle de la gestion décisionnelle-opérationnelle. Cet exposé de Freitag est, comme en général pour cet auteur, d'une lourdeur, d'une noirceur et d'une difficulté de lecture tout aussi considérables que puissamment documenté et finement analysé. La forme du colloque ou séminaire (baptisé d'après le sociologue Fernand Dumont), colloque fermé où chaque présentation est associée à un commentateur ayant préalablement lu la contribution à débattre, colloque, également, où chaque présentation suivie de commentaire s'enchaîne sur une discussion en plénière, est inhabituelle et présente d'abord l'inconvénient d'offrir aux lecteurs ce qui s'apparent à un plan de livre - davantage qu'un livre, les réflexions et remues-méninges ayant précédé et impulsé sa rédaction. Mais après une certaine phase d'habituation, il s'avère stimulant d'accéder à des échanges de vue qui laissent aux arguments alternatifs, aux nuances et aux désaccords la chance de s'exprimer et d'enrichir la réflexion. La principale lacune de l'ouvrage tient en ce fait que le Libéralisme n'est pas défini. S'agit-il d'une seule et même doctrine ou théorie sociale (ou politique, ou économique) ? La compréhension de ce dont il s'agit est tenue pour acquise - alors que tout s'y rapporte et prend consistance par opposition ou volonté d'en corriger les conséquences, ce manque à gagner définitionnel créer un flou plus que considérable et attentatoire à l'utilité de l'exercice.
S
Simon Lavoie a commenté et noté ce livre

Canada français (Le) Son temps ,sa nature ,son héritage

Par Gilles Gagné
(2,0)
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Ce deuxième séminaire Fernand-Dumont réunit des historiens, théologiens, littéraires, sociologues et démographes pour examiner ce concept de Canada Français - à quoi renvoie-t-il (à un projet, à une configuration sociale, politique, économique originale, à une illusion rétrospective) ? Dans quelle géographie et période historique le situer ? Quelles en sont les dates et moteurs de constitution et d'affaissement ? Est-il, ou peut-il être, un héritage ? Il est difficile de tenter un compte-rendu des échanges condensés dans l'ouvrage tant y sont nombreuses les dispersions - désaccords, digressions par rapport aux thèmes proposés, idiosyncrasies terminologiques. Toutes déjà notables dans le 1e séminaire, elles sont, de manière sans doute révélatrice, quintuplées ici. Le Canada français est posé implicitement en un programme politique national mais les participants ne s'entendent pas pour lui reconnaître un appui et une résonance populaires réels. Louis Rousseau hasarde l'hypothèse que l'Église ait contribué à créer une religion civile supportant les oeuvres de charité (les devancières de la société civile et de l'économie sociale que nous connaissons) dans le Québec de 1840 à 1960, mais cette hypothèse est rejetée au motif que l'institution religieuse catholique, du fait de sa nature élitiste (seuls sont habilités à comprendre et à parler du culte ses ministres désignés) s'est très peu intégrée au tissu des interactions de la vie sociale, de la psychologie, ordinaires. Fernande Roy fait état sans la moindre nuance de l'opposition du milieu des affaires, du milieu XIXe siècle jusqu'à la création de la chambre de commerce montréalaise, à un nationalisme autre que Canadian unique, sans spécificité culturelle (religieuse et linguistique) revendiquée. Ce même Canada français a été rejeté de façon négligente dans la mémoire honteuse d'une période de "Grande noirceur" définie vaguement comme contemporaine des gouvernements de Maurice Duplessis, sans autre forme de procès. Lucia Ferretti s'inscrit en faux contre cette tendance en montrant comment les transformations associées à la Révolution tranquille (implantation d'une administration publique volumineuse, intervention de l'État dans les affaires sociales et la santé, laïcisation, extension des droits sociaux) ont été préparées, annoncées et facilitées par des dynamiques inhérentes à l'Église et à ses intellectuels. Point d'un intérêt majeur, Ferretti souligne que le projet d'une Église pour tous s'est heurté aux revendications des Irlandais qui ont obtenu, via des pressions à Rome, d'ethniciser les lieux de culte (d'avoir leur propre prêtre / curé, leur propre Église à l'encontre d'une communion avec les canadiens français). Les tendances au repli ne logent pas toujours à la seule enseigne des Québécois. Bien que Joseph Yvon Thériault monte un réquisitoire contre la volonté de rupture (de départ à neuf) des intellectuels associés à la Révolution tranquille, et milite pour la réinscription du Canada français comme héritage-question à la lumière de laquelle seulement la modernité québécoise peut faire sens, bien que le Canada français se soit parcellisé, fragmenté et décomposé en une multitude de "communautés" (acadienne, ontarienne, manitobaine, américaine) sans conscience de corps, sans velléité de diaspora. La mise en perspective habermasienne avec un bémol de son exposé est instructrice et pertinente (nulle société moderne n'existe sans réinterprétation conflictuelle de traditions qui lui donnent son orientation et sa personnalité caractéristique, de même qu'il n'est nulle couleur qui n'en serait pas une en particulier, aucun langage qui ne serait une langue ou aucune religion qui n'en serait pas une en particulier). Gérard Bouchard fait écho à des thèmes développés plus amplement dans son ouvrage Raison et contradiction , à savoir les thèmes de contradiction inhérents aux mythes qu'élaborent les collectivités nouvelles pour faire sens de leur situation dans le monde (contradictions telles que, bien que neuves, elles ressentent le besoin de s'inventer une histoire longue, et telles qu'elles inventent des passés de consensus ou d'unanimité là où un examen sérieux n'en révèle aucun). Il contribue ce faisant à défaire cette mémoire honteuse de la Grande Noirceur en y suggérant l'existence de caractéristiques sociales que la quasi-totalité des pays ont connu à la même époque, sans se dépeindre négativement pour autant. Condition de dominé oblige, la conscience de soi québécoise demeure auto-flagellante, auto-dépréciative et prostrée. Plusieurs des vues exposées au fil de l'ouvrage auraient mérité des développements plus amples que ceux auxquels elles ont été contraintes - 10 à 20 pages tout au plus. À défaut de quoi le lecteur reste, en refermant le livre, sur une impression de désordre empêchant toute signification globale d'émerger et de se rappeler à la mémoire. Les inconvénients inhérents à tout un livre collectif semblent plus nombreux ici que leurs avantages. Pouvait-il en aller autrement compte tenu de cet (non-/ anti-) héritage qu'est le Canada français ?
S
Simon Lavoie a commenté et noté ce livre

Culture Quebecoise Est-elle en Crise?

Par Gérard Bouchard et Alain Roy
(3,0)
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Bouchard et Roy ont convié plus de 250 intellectuels québécois des sciences humaines/sociales ainsi que des arts et lettres à répondre à la question du titre, en précisant l'ampleur, la nature, les manifestations, causes et remèdes (si applicable) à cette crise, en justifiant l'absence ou l'impossibilité d'une crise (si applicable), ainsi qu'à situer le Québec - présente-t-il un portrait exceptionnel ou similaire à celui d'autres sociétés occidentales ? Des 144 réponses obtenues, l'objectif était de tirer une synthèse offrant une vision cohérente, mais Bouchard et Roy se sont heurtés à une multiplicité limitant leur entreprise à n'offrir qu'une prémisse ou prélude à un éventuel examen resserré de la question. L'ouvrage s'ouvre sur ce constat dont les auteurs font état en terme d'une complexité révélatrice du context social (complexité comprise au sens minimal de "multiplicité de descriptions de l'état d'un système dans ce système" - définition personnelle inspirée de l'oeuvre du sociologue Niklas Luhmann), complexité dont l'ampleur et la robustesse sont dignes de mention à titre d'enseignement ou de leçon à tirer de l'ouvrage lui-même. Bouchard et Roy s'emploient ensuite à classifier les lignes de fractures entre les répondants, en prenant soin, non seulement de souligner la légère prédominance des constats négatifs (c'est-à-dire des lectures de la situation culturelle québécoise comme étant en un stade de désorientation, d'insignifiance et autres), mais également de montrer la faible variabilité des réponses en fonction du sexe et de l'âge des répondants. Je n'entreprendrai pas de résumer le condensé de ces lignes de fractures entre les répondants qui fournit la matière du premier chapitre, sinon pour insister sur la polysémie des termes (qui est une facette additionnelle et inhérente à la complexité - non celle de l'objet, mais de la perspective) : culture est généralement entendue au sens anthropologique de mode de vie et de pensée, de mode de coordination et de mise en commun, mais certains répondants en font une lecture centrée en priorité (sinon en exclusivité) sur les arts et lettres (la haute culture que l'on pourrait qualifier d'expressive et à vocation esthétique). Ensuite et surtout, crise est tantôt pris à titre de terme négativement connoté (similaire à une pathologie), tantôt positivement connoté (comme condition normale de toute culture en transition, sinon comme basse continue de la culture occidentale / moderne, où les valeurs de liberté, d'individualisation et d'autonomie sont fondamentales). Bouchard et Roy notent que certains des constats les plus sombres sur la situation québécoise et occidentale viennent des répondants estimant que l'absence d'une crise, négativement connotée, rend la situation autrement plus critique et alarmante : un affaissement généralisé de la valeur de nos actions et réalisations, une déclaration comme nulle et non avenue de toute parole avant même que d'être prononcée, vécus de manière diffuse, zombie, léthargique (empêchant l'advenue d'une crise dramatique sujette à redresser les perspectives). Aparté L'adaptation aux valeurs de la modernité (à ses dynamiques d'individualisation des rapports à soi/autres/monde, de démocratisation de l'État-nation, de croissance d'une économie capitaliste, voir Louis Côté, L'inscription des sociétés non occidentales dans la modernité) explique très largement les inquiétudes et anxiétés exprimées périodiquement dans les constats de crise - bien qu'il ne puisse s'agir de réduire ceux-ci à cette adaptation (il se pourrait que chaque époque et chaque groupe culturel ait sa part de Cassandre). Il y a un parti-pris Héraclitéen dans notre condition culturelle qui liquéfie et mobilise, déstabilise et remet en question, retourne chaque pierre (prétention à la stabilité, à la permanence, à la synthèse directrice). Ce fait présente sa part d'inconvénients (diversement répercutés au plan psychologique) et d'avantage si ce n'est celui de nous forcer à admettre la friabilité de certaines de nos prétentions (y compris celles de pouvoir porter un jugement d'ensemble sur un domaine aussi vaste que la culture anthropologique). Chaque auteur présente ensuite un essai personnel faisant état de son positionnement, et de sa lecture des résultats du questionnaire. Alain Roy admet l'incapacité où il se trouve à faire de ces résultats une synthèse significative, tant les directions et prises de positions, pour ne pas être quelconque et aléatoires, n'en sont pas moins variées et opposées. Suivant les mêmes paramètres que ceux soumis aux participants (crise ou non, nature, intensité, manifestations, causes, remèdes, exceptionnalité ou non de la situation québécoise), il présente un point de vue penchant pour un constat de crise négativement connotée, où le rétrécissement de la vie intérieure consécutif à l'éclipse des valeurs transcendantes (ou hyperbiens, dixit Charles Taylor) appelle à une restitution d'horizons plus vastes et irréductibles à la volonté de contrôle (fût-il exercé, ce contrôle, pour assouvir une soif inextinguible de divertissement). Ces valeurs, jadis sacrées ou sur-humaines, Roy les reconstitue autrement sous l'intitulé de problèmes irrésolubles. L'admission de l'existence de tels problèmes irrésolubles aurait, espère Roy, le pouvoir de décentrer les agents sociaux de leur quête inflationniste du moi (ou serait-ce du surmoi , pour continuer avec une terminologie quelque peu surannée). Gérard Bouchard présente un éventail des constats de crise présents dans la littérature (surtout sociologique et philosophique) européenne, avant de justifier la méfiance, la retenue teintée d'inquiétude et d'espoir avec lesquelles il lui semble opportun de considérer ces constats - voir même, ce genre littéraire que constituent les diagnostiques crépusculaires. Il analyse ensuite la dynamique culturelle sous les deux intitulés de la transformation du mode d'adhésion aux valeurs cardinales de la modernité, et de changement des balises dans lesquelles cette transformation a lieu. Il prend surtout grand soin d'inscrire son analyse dans la sociologie des imaginaires et des mythes collectifs dont il défend le programme, suivant une définition du mythe qui me semble questionnable (à suivre, ma lecture & compte-rendu prochains de Raison et déraison du mythe : au coeur des imaginaires collectifs). Des extraits de réponses offertes au questionnaire par différents intellectuels (dont certains anonymes) composent la dernière partie de l'ouvrage.
S
Simon Lavoie a apprécié, commenté et noté ce livre

Raison et déraison du mythe: au coeur des imaginaires collectifs

Par Gérard Bouchard
(5,0)
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Contre les convictions évolutionnistes nourries par les Lumières, Bouchard présente le mythe comme dimension transcendantale (condition de possibilité), autant moderne que primitive, du maintien de la cohésion sociale, de la motivation ou identification individuelle au groupe. Loin des charges postmodernistes contre la raison, contre l'argumentation appuyée sur l'observation de régularités fiables, réplicables et mesurables, il entend nous faire mieux apprécier les domaines respectifs, grandeurs et misères, de chacun. D'après sa thèse centrale, mythe et raison forment un tandem irréductible compte tenu que la seconde rencontre des contradictions ou des inconsistances dans son exercice (par exemple, en établissant que tout énoncé doit être tenu pour vrai ou pour faux, la logique pose du même coup un principe qui ne peut être tenu autrement que pour vrai, énonciation et violation du principe étant simultanées), et compte tenu que seul le mélange sacralisé d'événements, d'imaginaires et d'émotions offert par le mythe permet d'en sortir (par contournement). Le premier chapitre établit la définition du mythe social qui figure au centre de la démarche. La revue des différentes définitions disponibles dans la littérature sociologique, anthropologique et plus largement philosophique présente beaucoup intérêt. Elle a remis en question la généralité de la définition qui m'était chère (celle du mythe comme récit cosmogonique, relatant la genèse du monde - ou d'un ensemble d'éléments précis de son mobilier - à travers les actions d'être divins et humains, situés dans une temporalité révolue, un temps d'avant, distinct de celui dans lequel ses utilisateurs baignent). Bouchard prend notamment ses distances d'avec Clifford Geertz (son insistance sur la cohérence et la systématicité), Cornelius Castoriadis (sa prétendue identification de l'imaginaire social avec un programme de changement révolutionnaire) et Claude Levi-Strauss (son omission de la charge émotive inhérente au mythe, sa genèse et son efficacité). Le second chapitre décrit le processus de construction (genèse, émergence) du mythe, de ses composantes (notamment les images ou archétypes fondamentaux) et articulations; processus de mythification au terme duquel se reconnaît la sacralisation (le saut cognitif ) et la constitution en un horizon d'actions et de justifications (un ethos, suivant la terminologie proposée), d'un événement (ancrage) victorieux ou rabaissant, entouré d'une charge affective forte (empreinte). L'analyse du fonctionnement et de l'efficacité du mythe social, le caractère stratégique de ses utilisations (l'avantage dans les rapports de force qu'il confère à certains acteurs), occupe le troisième chapitre, dans lequel les techniques de persuasion occupent une position d'une importance et d'un intérêt particuliers. La variabilité des mythes sociaux, leur hiérarchie (mythes centraux vs périphériques) et leur articulation mutuelle fait l'objet du quatrième et dernier chapitre. L'objectif global de Raison et déraison du mythe est de présenter un programme de recherche, le cadre théorique et la perspective dans lequel il incombe selon Bouchard de le mener. Comme mentionné d'entrée, cet objectif me semble atteint avec aplomb, tant brille d'évidence (à distinguer de l'arrogance) la maîtrise de la littérature. Il est également de fait que les illustrations empiriques, puisées à l'histoire du Québec, du Canada, et d'une diversité de pays (incluant le Japon, la Chine et la Russie), que ces illustrations données tout au long de l'exposé en support aux arguments et distinctions conceptuelles sont opportuns et instructifs. Un bémol quant au programme et à la perspective. En dépit d'affirmation contraires, c'est-à-dire en dépit de la volonté répétée de suivre la délimitation du mythe social comme objet d'enquête, il m'apparaît évident que l'utilisation des outils proposés ici est vulnérable à la construction d'un méta-objet, à savoir : d'un mythe tout-englobant, englobant pratiquement tout et son contraire - les droits humains, les théoriques scientifiques, l'actualité journalistique, les décisions économiques, les programmes et politiques publiques, pour ne nommer que ces exemples cités comme illustrations de ce que les mythes sociaux recouvrent, motivent et orientent. Autant la satisfaction de lire un ouvrage comme celui-ci est grande compte tenu des qualités citées rapidement ici (auxquelles s'ajoutent rigueur et élégance), autant l'est le risque d'être déçu de suivre un programme partant sur un objet sujet à se dissiper dans le tout et à former une nouvelle métaphysique.
S
Simon Lavoie a apprécié, commenté et noté ce livre

Interculturalisme (L'): Un point de vue québécois

Par Gérard Bouchard
(4,0)
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L'immigration et les rapports de majorité à minorités sont la source des plus vives tensions. Prenant acte des consultations co-présidées avec Charles Taylor (2007-2008), Gérard Bouchard expose ici la conception de l'interculturalisme qu'il estime adéquat au Québec, adéquat à résoudre les peurs rendant la majorité peu / non encline à aborder la gestion de la diversité de manière constructive. L'ouvrage débute par une définition des paramètres et conditions que la gestion ethnoculturelle doit satisfaire au Québec pour satisfaire au besoin légitime de la majorité francophone de perdurer et de s'assurer un avenir, ainsi que la définition des principaux paradigmes ou balises empruntés par les différents pays confrontés au même défi (paradigme de la diversité, de l'homogénéité, de la mixité, de la bi ou multi-polarité, et paradigme de la dualité - auquel va la préférence de Bouchard) (chapitre 1). S'ensuit une présentation détaillée du modèle interculturaliste prôné, de son souci d'assurer le respect des valeurs et principes fondamentaux de la majorité (le français comme langue commune, la laïcité, l'égalité homme-femme) tout en respectant le droit des minorités à protéger et à vivre selon leurs héritages, et tout en valorisant la construction d'une culture commune via des échanges, des interactions et des rencontres (chapitre 2). Les lignes de divergence entre l'interculturalisme ainsi compris et le multiculturalisme promu par loi au Canada à partir de 1971 sont clarifiées (chapitre 3); avant la réponse à chacune des critiques adressées, sur des fronts culturels et civiques-juridiques, à l'interculturalisme (chapitre 4). Le prolongement et la cohérence de l'interculturalisme avec un "régime de laïcité" sont explicités au chapitre 5. Cet ouvrage repose sur une connaissance solide des études entreprises au sujet de la gestion de la diversité ethnique et culturelle, au sujet des politiques publiques ainsi que des lignes directrices adoptées à d'autres niveaux que national (niveau de chaque ministère, niveau des municipalités, de certains corps de métier). Il présente l'avantage, pour le lecteur, d'enrichir sa perspective de manière raisonnable, non émotive, en rejetant les solutions radicales (bannir la religion, fermer les frontières à l'immigration, notamment), et engageant sur des pistes tout aussi nombreuses que prometteuses. Un défaut, dont on peut difficilement faire porter le blâme à Bouchard, tient en ce que l'interculturalisme continue d'être boudé et non appliqué, semble-t-il, par les partis et gouvernements au Québec (constat posé à deux reprises dans le présent ouvrage), faute d'amour du Québec et du souci de lui garantir un avenir comme nation distincte (minoritaire) au sein du Canada et de l'Amérique du Nord dans certains cas, faute d'intérêt à vouloir déssaisir l'électorat des vagues de stresse et de panique (toute Léo Straussienne*) avec lesquelles les médias et la toile font recette, ou faute, finalement, d'une vision autre qu'inconditionnellement diabolisante des nations et des majorités, et célébratoire des minorités. * Le/la politique est la désignation d'un ennemi. Cette formule du philosophe politique allemand Léo Strauss condense âprement une certaine vision selon laquelle la vie politique repose fondamentalement sur le resserrement des membres d'un groupe autour de ses chefs, sur la clarification et la défense de ses règles de vie comme étant préférables et supérieures à celle du barbare (du terroriste, de l'écologiste, du Québecois intolérant etc.) qui menace.
S
Simon Lavoie a apprécié, commenté et noté ce livre

Retrouver la raison : essais de philosophie publique

Par Jocelyn Maclure
(4,0)
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Retrouver la raison est un recueil de courtes interventions du philosophe parues sur des blogue et dans diverses revues sur une période allant de 2010 à 2015. Son objectif global est de contribuer à faire reculer le "bluff" de l'espace public (le bluff n'étant pas un mensonge, mais une exagération lancée de manière offensante sans souci de fournir de justification empirique), contribuer, plus largement, à la gauche réformiste (plutôt que radicale) et à la défense du rationalisme réaliste. Cette dernière posture relève d'une défense de la coopération sociale et de la recherche du bien commun par l'usage du débat et par la recherche du meilleur argument prenant en compte les limites, faiblesses et biais cognitifs que la psychologie expérimentale et morale a abondamment relevé au cours de la période récente - biais parmi lesquels Maclure range l'inertie, la faiblesse de la volonté et la recherche spontanée (souvent entêtée) de confirmation à nos intuitions. Le rationalisme est réaliste quant à notre capacité de fixation et de révision des croyances (réalisme de la perspective), et réaliste au sens de l'objet à débattre : il existe des faits à l'existence indépendante dont nous devons tenir compte, et qui doivent contraindre nos choix et décisions possibles, à commencer par contraindre les arguments (et accusations) avancés publiquement. Bien que certains faits dépendent intrinsèquement de l'observateur et de la convention (de l'entente), tous n'en sont pas (il existe un réalisme épistémique, relatif au mode de connaissance, et un réalisme ontologique, relatif au mobilier du monde). Le programme de déconstruction postmoderniste des légitimations philosophiques de la modernité (l'émancipation par l'usage de la libre discussion/débat et la production de connaissance objective-prédictive) procède largement d'une confusion entre réalismes épistémique et ontologique, et il s'est avéré insuffisant à fournir des justifications et modes de production alternatifs de connaissances fiables ou réputées vraies; échec, également, à justifier un engagement pratique, déplore Maclure. Les sujets abordés vont des débats occasionnés sur la Charte des valeurs et les accommodements raisonnables (lesquels comptent pour une majeure partie des textes), le financement des écoles privées en général, et des écoles privées confessionnelles en particulier, le franglais, les causes à l'affaiblissement des appuis à la souveraineté du Québec (et ce, à l'encontre de la thèse de la fatigue culturelle popularisée par Hubert Aquin, et celle de l'intériorisation par les québécois du mépris anglais à leur endroit), le calcul de la péréquation (contre le calcul simpliste voulant que le pétrole albertain paie les programmes sociaux du Québec et les maintiennent involontairement dans un esprit non-concurrentiel) la séparation et l'articulation des pouvoirs juridiques et législatifs-exécutifs (à l'encontre de la lecture voulant que la Constitution de 1982 ait imposé un "gouvernement des juges"), la tarification des services publics et leur conjonction à l'imposition progressive. Un texte traite explicitement d'un complément à la défense du rationnalisme réaliste, texte qui opère la conjonction avec des préceptes favorisant la communication coopérante (Paul Grice, communique de manière telle à contribuer aux buts convenus) et la générosité interprétative (Daniel Dennett, une thèse n'est pas réfutée tant qu'elle n'est pas examinée sous sa meilleure formulation). Ayant été un défenseur de la Charte des valeurs, et demeurant un partisan de la souveraineté du peuple québécois, j'ai puisé à cet ouvrage une excellente base pour re-positionner et questionner le bienfondé de mes convictions. Par surcroît, je suis personnellement disposé à employer des études de psychologie (cognitive, développementale, comparée) suivant le conseil de Maclure, c'est-à-dire en tant que correctif et guides dans la tâche essentielle de réhabiliter nos capacités à mener des dialogues / débats rationnels. Le seul bémol que je trouve à émettre vient de ce que la multitude, et la brièveté (pour ne pas dire la courteur), des textes rend l'ensemble légèrement disparate et laisse quelque fois le lecteur sur sa faim. Néanmoins, un livre instructif, constructif qui saura, espérons, faire école.
S
Simon Lavoie a apprécié, commenté et noté ce livre

De la Nation a la Multination

Par Alain-Gustave Gagnon et Raffaele Iacovino
(5,0)
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"Bien que plusieurs acteurs de la communauté politique canadienne soient ouverts à de nouvelles conceptions, à de nouvelles normes, à de nouvelles dynamiques identitaires et à de nouvelles dynamiques de pouvoir, l'existence du Québec en tant que nation jouissant du droit à l'autodétermination reste toujours irrecevable. [...Pourtant, cette] question québécoise fournit au Canada l'occasion de réaliser ses promesses et de se définir à partir de principes qui lui sont propres et qui reflètent son histoire, sa société, sa diversité nationale et culturelle" (p.10-1) Suivant une approche contextuelle de la théorie politique, Alain G. Gagnon et Raffaele Iacovino examinent l'histoire constitutionnelle du Québec et du Canada, de la fin de la Guerre de sept ans (Proclamation royale) jusqu'à la Loi C-20 (dite "sur la clarté"), en plaidant, à la suite du philosophe James Tully, pour l'instauration d'un fédéralisme multinational dont les trois piliers sont la reconnaissance mutuelle, le consentement et la continuité. Le fédéralisme multinational renoue avec, et réactualise, la vision fondatrice de la Constitution en tant qu'entente/compromis entre peuples ou nations préconstituées. Ils proposent à cette fin une série d'actions sujettes à éviter les impasses des partis fédéraux actuels, ainsi qu'à permettre d'instaurer la reconnaissance mutuelle en remplacement du climat pour le moins maussade et résigné qui prévaut depuis 1995. La prise en compte des identités et des droits collectifs, et l'élargissement des fondements institutionnels et des allégeances au-delà des cadres territoriaux et des cultures prépolitiques, ont transformé la théorie libérale ainsi que les régimes de citoyenneté et orientations des politiques d'intégration et de la gestion de la diversité. Une part notable de l'introduction retrace ces transformations, allant de l'affrontement entre libéraux procéduraux (rawlsien) et communautaiens, jusqu'au nationalisme et au culturalisme libéraux (tels que thématisés par Kymlicka). Gagnon et Iacovino estiment que la persistance des cadres territoriaux dans la fixation des principes de légitimité, de représentation, de délibération et d'imputabilité forme un cadre d'analyse irréductible. Ce principe opère la distinction fondamentale, mais sacrifiée par le régime instauré en 1982, entre les nations minoritaires et les groupes ou associations déterritorialisées créées par intérêt. Conjointement avec l'adoption d'une perspective relationnelle et flexible des identités ainsi que de la hiérarchie dynamique des niveaux d'allégeances, ces principes arment les auteurs afin de procéder à la lecture critique du régime canadien tel que nous le connaissons ou tel que, suivant un certain désengagement qui consiste à attendre que les questions sérieuses se règlent d'elles-mêmes (voir Le Code Québec) nous le méconnaissons. Les tentatives britanniques d'assimiler la nation francophone remontent à l'officialisation de la victoire Anglaise sur la France au terme de la guerre de sept ans (Proclamation royale de 1763). L'échec de ce projet explique la reconnaissance, dans l'Acte de Québec (1774) et dans l'Acte constitutionnelle (1791) du caractère multinational du Canada, et de la liberté accordée aux francophones de se développer indépendamment des colons anglais nouvellement arrivés. La résistance des français à l'assimilation explique pareillement pourquoi, dans la loi impériale de 1867 (considérée comme une Constitution, ou communément, une Confédération) ainsi que dans les rencontres de Québec l'ayant précédé, le caractère de facto fédéral d'un régime de jure unitaire ait été reconnu ("bien que le Canada soit sur papier une union législative [...] nous savons que, depuis l'Union de 1841, il a été dans les faits une union de type fédéral" John A. Macdonald, cité p.41). Les Canadiens français et ultérieurement les Québécois ont adhéré avec constance à la vision d'après laquelle la Constitution de 1867 ainsi que sa version rapatriée en 1982 se fondent sur la continuité avec les traités de 1774 et 1791, à savoir la continuité avec la vision des deux peuples fondateurs se reconnaissant et établissant une entente/compromis sur la séparation de leurs pouvoirs. Bien que, à l'extérieur du Québec, cette vision ait eu ses supporteurs au cours de la première moitié du siècle dernier, elle ne subsiste qu'en vertu de certains arrêts de la Cour supérieur, sur lesquels les auteurs prennent appui dans leurs recommandations. Elle a été minorisée et effacée au fil du temps (confirmant une des observation contenues dans le rapport de la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels (rapport Tremblay, 1961, voir commentaire)). Un point central de l'ouvrage est de démontrer que, en rompant avec cette tradition de reconnaissance de deux nations souveraines au sein du Canada, le régime canadien trudeauiste s'est à la fois appauvrit au plan de son caractère fédéral, à savoir, au plan de la reconnaissance des majorités territorialement ancrés (avec régime démocratique représentatif soumis à la légitimité populaire, à la délibération et à l'imputabilité) comme partenaires de négociation égaux (bien que démographiquement inégaux), et appauvrit au plan de sa capacité à structurer et reconnaître la diversité. Cette démonstration s'effectue moyennant l'examen de l'architecture du régime tel qu'elle peut être, largement, déduite du caractère d'institution centrale conféré à la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution de 1982; institution sapant toute loyauté territoriale autre qu'au gouvernement central (institution attribuant aux citoyens une identité qui supporte ce dernier, selon une logique où le droit libéral relève entièrement du gouvernement central, tandis que les initiatives provinciales en matière de citoyenneté actives sont dépeintes comme réactionnaires). Cette démonstration repose également sur l'examen de la dissociation entre citoyenneté formelle et citoyenneté active créée par la centralisation de la légitimé au gouvernement central, laquelle s'incarne en un type de gouvernance, symbolisé par l'Entente-cadre sur l'union sociale (1999 - ), tel que les objectifs et les normes des programmes de politiques sociales sont décidés unilatéralement à Ottawa, laissant les provinces ramer (exécuter), et obtenir à la pièce des ententes dites bilatérales, de nature administratives (révisables par Ottawa en tout temps), les autorisant à gouverner dans leurs champs de compétences. La démonstration de l'appauvrissement du caractère fédéral du régime canadien inclut d'autres dimensions, dont la comparaison des régimes de citoyenneté québécois, axé sur l'interculturalisme (valorisation de l'échange, de la réciprocité dans la construction d'une culture commune), et canadien, axé sur le multiculturalisme (droits individuels, absence de culture commune auxquels les groupes polyéthniques contribuent, culture canadienne non définie autrement que comme la somme des héritages auxquels les individus choisissent de s'identifier, dans les limites permises par la Charte) (voir chapitre 4 Créer des contextes de choix). Les implications d'une conception relationnelle et hiérarchique de l'identité et de l'allégeance sur le fonctionnement d'un régime fédéral multinational sont examinés au chapitre 5 (Négocier l'adhésion) sous l'angle comparatif avec le régime clientéliste et fixiste actuel (où, en vertu de la centralisation des pouvoirs et la monopolisation de la légitimé démocratique au gouvernement central, les gouvernements provinciaux, les groupes associatifs, les entreprises et les individus sont tous également branchés en ligne directe sur les demandes de fond, traités comme groupes d'intérêt interchangeables, assujettis aux mêmes conditions, réputés vouloir/ revendiquer les mêmes droits, et réputés tombés sous les mêmes intitulés généraux). "La citoyenneté substantielle ne peut prendre forme qu'à travers son exercice, et non par son assujettissement. Le sentiment d'appartenance à une communauté politique se construit au fil de luttes qui portent sur une myriade de questions matérielles, sociales et culturelles, et non en quémandant la reconnaissance du gouvernement central" (195-6). De cette perspective, les auteurs déduisent une lecture du caractère post national revendiqué du Canada divergente de la vision actuelle. Les propositions avancées pour renouer avec la nature multinationale du Canada, et régler la reconnaissance du Québec comme nation ou société distincte (fruit de la Révolution tranquille), sont appuyées sur le jugement de la Cour suprême sur le droit du Québec à faire sécession; propositions évitant l'acrimonie d'un référendum, et promettant, comme mentionné d'ouverture, de renouer, en lieu en place d'une attente d'assimilation nourrit (observation personnelle : ) par le jeu conjugué de l'immigration et du découragement, avec la reconnaissance et le respect mutuels (chapitre conclusif).