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Survivance : histoire et mémoire du XIXe siècle canadien-français

Par Éric Bédard
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
Le maintien d'un pouvoir politique et d'une identité collective canadiens (français) dans les circonstances hostiles qui font suite à l'écrasement du mouvement des Patriotes et à l'Act d'union constitue le problème phare autour duquel sont reconstituées les prises de position d'un certain nombre de figures clefs de l'époque : Louis-Hippolyte Lafontaine (chapitre 5), Joseph-Édoudard Cauchon (chapitre 6), Philippe Aubert de Gaspé (chapitre 8), Octave Crémazie (chapitre 9). Ce maintien des plus improbable était un problème de premier plan pour les acteurs de même que pour des générations successives d'historiens qui se sont escrimés à démontrer des continuités ou (plus souvent) des discontinuités et incompatibilités entre libéralisme, modernité, et appartenance collective (nationale), de même qu'à dresser des procès sévères aux anciens patriotes devenus artisans, dans certains cas, du régime constitutionnel. Les mérites de Éric Bédard sont nombreux. Au premier chef, il parvient à mettre à distance des postures d'historiens assoiffés de généralisations et de jugements englobants, qu'ils soient d'ascendance marxiste, "foucaldienne", inspirés de l'école des Annales ou d'une vision dépréciative de la résistance au libéralisme économique. Quels étaient les réels choix et motivations déclarées des acteurs dans les circonstances ? Existe-t-il une unique voie d'accès à la modernité (culture des libertés) ? Les élites politiques francophones se sont-elles alliées à une Église fondamentalement réactionnaire ? Éric Bédard offre des réponses stimulantes à de telles questions en laissant s'exprimer un éventail de prises de position qui, selon son habile formule, amène le lecteur à "communier à l'humanité" d'acteurs qui, pour être éloignés de lui dans le temps et les circonstances, n'en sont pas moins vibrants des mêmes passions fondamentales.

Appartenir au Québec

Par Denise Helly et Nicolas Van Schendel
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
Cet ouvrage expose les résultats d'une enquête par entrevue auprès de nouveaux Québécois de 35 à 40 ans, établis depuis 10 ans, originaires de six pays (Haïti, Inde, Salvador, Maroc, Vietnam, France) ainsi que des Québécois d'ascendance canadienne-française. Les participants partagent leurs visions et sentiments de ce que sont la citoyenneté, le peuple, la nation, les États fédéral et provincial, la vie ordinaire au sein de la société civile (rencontres et interactions anonymes dans les parcs, cours d'école, sur les rues), la protection du français (loi 101), la discrimination positive, le soutien aux organismes ethno-culturels, la mondialisation. Leurs conceptions se répartissent sur un gradient allant d'une citoyenneté républicaine culturellement située (qui implique le devoir de partager et de participer de l'avancement d'un projet collectif défini par la majorité démocratique, soit par un peuple dépositaire d'un patrimoine culturel) à une conception entièrement négative (la citoyenneté n'a aucune signification sinon celle d'un permis de séjour; les répondants n'ont aucune appartenance, ni au Québec, ni au Canada, ni au pays d'origine), en passant par des intermédiaires tels le libéralisme formel (la citoyenneté repose uniquement sur la disposition de droits et de protections individuelles, sans adhérence à un projet collectif - les tenants de cette position estiment que la protection du français est illégale et immorale, que la notion de peuple est anachronique et dépassée), le séparatisme culturel au sein d'un Canada uni (des héritiers de Honoré Mercier) et le Canada uni comportant des variations régionales (le Québec comme une variété parmi d'autres). Les 5 positions qui se dégagent avec cohérence des entrevues ont pour bases de différenciation reconnaissables : la proximité du pays d'origine avec la France, l'Angleterre ou les États-Unis; la connaissance préalable du français ; le niveau d'éducation, la similitude ou affinité ressentie entre les parcours nationaux du pays d'origine et le Québec (lutte de libération nationale et résistance contre l'américanisation de la culture), les résistances que les participants ont rencontré ou non au sein de la société quant à leur prétention d'appartenance. Les participations qui ont été constamment renvoyés à leur étrangeté- statut d'immigrant regardé avec méfiance voir condescendance - , et qui vivent leur intégration sociale et ou professionnelle au Québec comme un échec, tendent à épouser une conception négative de la citoyenneté, et une adhésion unique au Canada, bien que cette variable ne soit pas la seule à cause. La variété d'opinions et de jugements portés sur le Québec, son projet d'affirmation nationale (au moment de l'enquête, située dans la période pré-référendaire) et sur l'institutionnalisation du pluralisme culturel (rejetée corps et biens par plusieurs aux noms d'une peur de l'érosion culturelle du Québec ou au nom du caractère privé des différences culturelles) que cette enquête révèle peut être facilement sous-estimée et gommée par une adhésion unilatérale à l'actualité (médias-sociaux aidant) polarisante et simplificatrice. L'immigrant, s'il est par principe l'allié naturel du statu quo fédéraliste, platement individualiste et mondialiste, ne se fonde pas systématiquement dans ce moule. Ne serait-ce que pour en administrer la preuve, certes limitée (84 participants), Appartenir au Québec mérite notre attention.

Remède imaginaire (Le)

Par Benoît Dubreuil et Guillaume Marois
(5,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
L'idée voulant que l'immigration réduise la pression du vieillissement de la population sur les finances publiques en palliant à une pénurie de main d'oeuvre (et partant, à une diminution des impôts) s'est imposée au Québec, estiment Dubreuil et Marois, aux alentours de 2007. Elle s'est affirmée dans les consultations publiques menées cette même année par la ministre Yolande James en prévision de l'adoption d'une politique de hausse des seuils. Elle s'est imposée unanimement, depuis, dans l'opinion publique, dans la sphère médiatique, dans tous les partis, au sein du conseil du patronat autant que des centrales syndicales. Un consensus aussi vaste et persistant, qui est pour le moins inhabituel (pour ne pas dire : sans équivalent) en démocratie, doit s'appuyer sur de solides preuves, est-on fondés, intuitivement, à conclure. Prenant appui sur les mémoires déposés lors des consultations de 2007, sur une vaste littérature démographique et économique produite au sein des pays développés (États-Unis, Royaume-Uni, Canada-Québec, Europes nordique, occidentale et méridionale), Dubreuil et Marois démontrent qu'il n'en est rien : la capacité de l'immigration à contrer les effets du vieillissement et à redresser les finances publiques de manière significative (au-delà d'un effet marginal) n'a aucun fondement empirique. Dans cette foulée, et toujours à partir d'une exposition détaillée de recherches, ils s'attaquent aux convictions tenaces et répandues selon lesquelles : le Québec intègrent moins bien les immigrants que le reste des provinces canadiennes (une thèse qui ne tient pas compte du revenu - y a-t-il intégration et redressement d'un déséquilibre dans les finances publiques par l'intermédiaire d'un travail qui vous maintien sous le seuil de pauvreté et qui vous fait payer un montant dérisoire d'impôt, if at all ?), le problème d'intégration loge uniquement du côté des employeurs et du racisme de la population en général (voir le point 2 ci-après); il existe des solutions simples pour permettre à l'immigration de livrer son plein potentiel (une meilleure reconnaissance des formations et expériences acquises à l'étranger, du mentorat, une offre plus soutenue de formation d'appoint-mise à niveau, à commencer par la francisation, notamment); l'immigration permet de lutter contre la perte de poids politique et démographique du Québec au sein du Canada. L'émotivité et la toxicité (emprisonnement dans la rectitude politique) des débats entourant l'immigration comptent, selon les auteurs, parmi les raisons pour lesquelles les démographes et les économistes se sont abstenus de prendre position publiquement lors des consultations de 2007, alors même que leurs études, celles soumises dans ce contexte et disponibles au-delà, ne permettent aucunement d'affirmer que l'immigration joue effectivement le rôle démographique et économique qui en est attendu. Exception à cette règle, Victo Piché pour qui elle pourrait jouer un tel rôle. Je me bornerai ici à reconstituer deux des nombreux arguments de l'exposition puissante, voire bouleversante, à laquelle se livrent Dubreuil et Marois. 1. ll y a une impossibilité mathématique à contrer le vieillissement Le taux de fécondité qui prédétermine la structure par âges de la population que l'immigration doit permettre de corriger et de redresser est de 4,1 enfants par femme. Enregistré dans les années 1950, il est le taux de référence de la démographie québécoise. Quel aurait été le nombre de naissances (à hauteur du taux de référence) chaque année jusqu'à aujourd'hui et ce, à partir de 1970 - moment à partir duquel le taux a chuté vers les 1,3 enfant / femme actuel ? Soustraire le nombre de naissances réelles du nombre de naissances découlant du taux de référence donne le nombre d'immigrants en âge de travailler qui s'avère nécessaire à assurer un équilibre de la pyramide des âges. Citant une étude démographique effectuée dans un autre pays confronté au même problème que le Québec (la Corée du Sud), il en résulte, pour cette population estimée à 50 millions d'habitants, la nécessité d'accueillir annuellement plus 90 millions d'immigrants pour déroger d'une dynamique de vieillissement campée par un taux de référence élevé. Lutter contre le vieillissement créé par un taux de référence élevée est une tentative vaine, comme remplir une chaudière sans fond (ou, selon l'expression puisée de la mythologie par le démographe Henri Léridon, un "tonneau des Danaïdes"). Utilisant les données disponibles grâce au recensement, et suivant la règle de calcul esquissée, Dubreuil et Marois démontrent que, en 2006, la structure par âge de la population québécoise aurait été identique à ce qu'elle a été réellement même si aucun immigrant n'était venu s'y établir au cours des 35 années antérieures. Le rapport de dépendance (le nombre de Québécois âgés de plus de 65 ans / nombre âgé entre 15 et 64 ans) et l'âge moyen de la population n'auraient respectivement changés que de -0,02 (rapport de dépendance) et de -0,1 (âge moyen). Aussi bien dire : d'un rien. Les seuls démographes cités comme ayant une vision différente, calculant favorablement la capacité de l'immigration à lutter contre le vieillissement de la population, estiment que des immigrants en âge de travailler (idéalement entre 40 et 44 ans), sans enfant ni conjoint ni parents pour venir les rejoindre sont les candidats idéaux - ce à quoi les auteurs objectent : mais dans quels pays ces millions d'immigrants nécessaires à rétablir notre structure par âge habitent-ils ? 2. La discrimination ne peut se maintenir indéfiniment sur un libre marché Des travailleurs discriminés uniquement pour des raisons ethniques (couleur de peau, religion, nom à consonance exotique) et non pour des raisons de compétence forme un bassin de main d'oeuvre que le premier entrepreneur avisé peut exploiter, à profit. Dans cette hypothèse, les travailleurs exclus sont tout aussi compétents que les travailleurs natifs ou travailleurs proches ethniquement des employeurs, mais comme aucun employeur n'en veut, il est possible de les engager à moindre coût. Sur un marché libre, une main d'oeuvre aussi compétente que celle de votre compétiteur, capable de réaliser les mêmes tâches aussi bien, à moindre coût, est un avantage concurrentiel des moins négligeables qui soient. Or, aucun employeur ne semble jamais s'être prévalu d'un tel avantage, il s'ensuit que les travailleurs exclus ne le sont pas que pour des motifs ethniques, mais pour leur manque de compétences. Cette hypothèse est cohérente avec le fait que le changement de provenance de la majorité des immigrants admis au pays depuis les années 1990 s'accompagne d'une détérioration notable de leur performance sur le marché de l'emploi (sous-emploi, chômage, bien-être social, dépendance envers les transferts gouvernementaux). Non plus issus des pays dits traditionnels, tels les États-Unis ou la France, mais de pays en voie de développement en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, les immigrants n'y ont pas développé, avant leur arrivée, de compétences adaptées à une économie de service ni, par surcroît à une économie de service concurrentielle - compétences en informatique, en communication, en traitement-résolution de problèmes, notamment. Nous tenons ici une preuve que la notion de compétence ne peut être prise comme étant a-contextuelle (comme étant indépendante d'un contexte de formation réel), et qu'elle ne le peut qu'au prix d'attentes mutuellement frustrées (tant du côté des immigrants que du côté de la société d'accueil). L'immigration est un phénomène complexe, comme il est reconnu tout au long de l'ouvrage, phénomène sur lequel un contrôle exhaustif et satisfaisant est probablement hors de portée (pour la même raison qu'est hors de portée l'établissement d'un système objectif d'évaluation de tous les diplômes et de toutes les expériences de travail acquis par des centaines de milliers d'immigrants, dans des milliers d'universités et autant d'entreprises à autant de moments différents) ; phénomène sur lequel il est possible d'avoir une diversité de perspectives (morale, humanitaire, culturelle, linguistique, politique, etc.). Considérée uniquement sous les angles démographiques et économiques, comme ici, n'est pas un choix propre à rendre l'immigration moins complexe (calculer les coûts et les bénéfices du parcours des immigrants sur 10, 20, 30 et 40 ans relève du pur prodige), mais propre, idéalement, à ajuster intelligemment nos attentes à son égard (ce qu'il reste à faire). Les auteurs ne se limitent pas à dresser un portrait par le menu détail des problèmes posés, plutôt que résolus, par l'immigration ; ils esquissent également plusieurs pistes de solution qui incluent la stimulation de la fécondité québécoise, la redéfinition de l'âge de la retraite, la correction des irrégularités enregistrés par le vérificateur général (Renaud Lachance, à l'époque) dans les entrevues de sélection des candidats à l'immigration économique; un resserrement des conditions d'éligibilité et une concentration sur l'immigration traditionnelle (en provenance de pays ayant des économies et des cultures du travail - compétitives, comparables, dont les États-Unis).

Antilibéralisme au Québec au XXe siècle (L')

Par Gilles Gagné
(3,0)
1 commentaire au sujet de ce livre
D'abord fabulations d'illuminés (philosophes et/ou mendiants) et d'aristocrates dégradés au rang de commis (voir la période axiale, Robert Bellah Religion in Human Evolution: From the Paleolithic to the Axial Age), les idéaux de liberté, d'autonomie et d'égalité sont devenus, avec le passage des siècles, centraux à la conscience d'eux-mêmes qu'ont les gens ordinaires; centraux à l'organisation des méga-groupes sociaux (le signe de leur modernité). Pourtant, en même temps que ces groupes (leurs élites) inscrivaient ces idéaux à même leurs lois et institutions, ceux-ci se heurtaient à une part d'eux-mêmes (l'économie devenue capitaliste et industrielle) leur échappant et recomposant, envers et contre leur gré, de larges pans de leur vie sur un mode proche de l'insulte. S'approprier la notion de la création de soi tout en perdant, simultanément, sa condition de réalisation collective délibérée : telle est cette crise de la modernité à laquelle ont répondu les régimes totalitaires durant la 1ere moitié du siècle dernier (crise que l'on peut regarder comme une réverbération lointaine de celle, fondatrice et inaugurale, de la période dite axiale, datant de ± 1 500 avant l'ère chrétienne). De quelle manière le Québec a traversé cette crise du début 20e, et quelles réponse lui ont été apportées ? Telles sont les questions auxquelles les contributeurs du présent ouvrage (du présent compte-rendu de colloque) tente de répondre. Brièvement... le créditisme reconstitué à grands traits par Gilles Bibeau est une réaction de petits commerçants (épicier, dépanneur, station service...) à leurs disqualification-élimination par les trust et les milieux d'affaire dominés par les anglo-saxons, réaction s'appuyant sur une conception que l'on pourrait qualifier de finitiste de l'économie et des besoins (il existe un nombre déterminé de biens de consommation circulant dans une économie nationale, le devoir d'une administration bien comprise est d'assurer qu'une quantité suffisante d'argent soit produite pour assurer que chaque citoyen puisse s'acheter la totalité de ces biens, supposant que l'argent soit utilisé pour une unique transaction - du finitisme radical). Bibeau reconstitue les sources de ce mouvement, ainsi que son évolution au Québec (et dans une moindre mesure au Canada). Le corporatisme présenté par Sylvie Lacombe est une réponse du clergé à la montée de la lutte de classes, réponse s'appuyant sur la doctrine sociale édictée dans un encyclique papal valorisant la collaboration sous la référence à un but commun supérieur aux motifs d'affrontement. En dépit de son caractère circonscrit, une telle structuration du social s'est largement répandue à l'ensemble des sociétés à économie libérale (à commencer par les New Deal aux États-Unis et au-delà). Le syndicalisme de combat, estime Jean-Marc Piotte, s'est constitué suivant des inspirations marxiste et anarchique valorisant la lutte contre les pouvoirs et la propriété privée. Culminant dans les années 1970, il s'est affaissé avant d'être remplacé par une recherche de partenariat où l'offensive disparaît derrière une tentative de préserver les acquis des travailleurs avec ancienneté au détriment des nouvelles générations; disparue, également, derrière un ralliement à la cause nationale (aux côtés du PQ de du Bloc, ralliement regardé comme un abandon de la "question sociale"). La démocratie de participation, telle qu'instaurée principalement avec le Bureau d'aménagement de l'est du Québec, représente, écrit Jean-Jacques Simard, une tentative pour installer l'intelligence organisée (universitaire, technique, scientifique) au service des besoins, d'installer le citoyen via l'expert aux commandes du développement urbanistique; tentative s'étant attiré l'hostilité des politiciens (maires) traditionnels et du clergé, avant de se retourner, de consultation en vue de définir les plans, en écoute afin d'imposer des décisions. En dépit de son caractère circonscrit à l'exemple discuté, la participation est l'une des rares innovations présentés dans le cadre de cet ouvrage à avoir eu une postérité jusqu'à nous, quoi que sous une forme dénuée, souvent, des espoirs ayant bercé leur naissance. Ces contributions forment l'essentiel de l'ouvrage, de sa partie centrée sur le Québec. Michel Freitag clôt le colloque avec une présentation volumineuse (plus de 50 pages, soit 5 fois la dimension moyenne des contributions précédentes) sur le totalitarisme : (i) l'exemple du nazisme, (i.i) sa capacité à faire fond sur une pluralité d'idéologies de crise (chez les travailleurs, dans la jeunesse, au sein de la classe politique, du milieu des affaires) par (i.ii) la création d'une mystique (une altérité substantivée comme la source des humiliations du peuple allemand, un mouvement volontariste gravitant autour de l'identité délirante du Fuhrer), et par (i.iii) la conversion opérationnelle de cette mystique (l'exerce quotidien banalisé de la terreur faisant fond sur les valeurs petites- bourgeoises du respect del 'ordre et de l'autorité, et plus largement du travail bien fait). Ces points servent à distinguer le totalitarisme dans ses facettes circonstancielles et ses facettes essentielles ou formelles qui en font la spécificité. Sa spécificité formelle - la dissolution de la distance entre le pouvoir et sa source de légitimité, entre la norme et la réalité, entre les sujets empiriques et idéaux - est ensuite rapprochée point par point avec ce que Freitag nomme postmodernité, ou règne actuelle de la gestion décisionnelle-opérationnelle. Cet exposé de Freitag est, comme en général pour cet auteur, d'une lourdeur, d'une noirceur et d'une difficulté de lecture tout aussi considérables que puissamment documenté et finement analysé. La forme du colloque ou séminaire (baptisé d'après le sociologue Fernand Dumont), colloque fermé où chaque présentation est associée à un commentateur ayant préalablement lu la contribution à débattre, colloque, également, où chaque présentation suivie de commentaire s'enchaîne sur une discussion en plénière, est inhabituelle et présente d'abord l'inconvénient d'offrir aux lecteurs ce qui s'apparent à un plan de livre - davantage qu'un livre, les réflexions et remues-méninges ayant précédé et impulsé sa rédaction. Mais après une certaine phase d'habituation, il s'avère stimulant d'accéder à des échanges de vue qui laissent aux arguments alternatifs, aux nuances et aux désaccords la chance de s'exprimer et d'enrichir la réflexion. La principale lacune de l'ouvrage tient en l'absence de définition du Libéralisme. Ce dont il s'agit à chaque fois (pour les créditistes, pour les syndicalistes, pour les participativistes, pour les corporatistes), est-ce une seule et même doctrine ou théorie sociale (ou politique, ou économique) ? Alors que tous se rapporteraient au libéralisme et prendraient consistance par opposition ou volonté d'en corriger les conséquences, ce manque à gagner définitionnel créer un flou considérable et attentatoire à l'utilité de l'exercice. De quelle manière le Québec a traversé cette crise du début 20e, et quelles réponse lui ont été apportées ? Telles sont les questions auxquelles les contributeurs du présent ouvrage (du présent compte-rendu de colloque) tente de répondre. Brièvement... le créditisme reconstitué à grands traits par Gilles Bibeau est une réaction de petits commerçants (épicier, dépanneur, station service...) à leurs disqualification-élimination par les trust et les milieux d'affaire dominés par les anglos-saxons, réaction s'appuyant sur une conception que l'on pourrait qualifier de finitiste de l'économie et des besoins (il existe un nombre déterminé de biens de consommation circulant dans une économie nationale, le devoir d'une administration bien comprise est d'assurer qu'une quantité suffisante d'argent soit produite pour assurer que chaque citoyen puisse s'acheter la totalité de ces biens, supposant que l'argent soit utilisé pour une unique transaction - du finitisme radical). Bibeau reconstitue les sources de ce mouvement, ainsi que son évolution au Québec (et dans une moindre mesure au Canada). Le corporatisme présenté par Sylvie Lacombe est une réponse du clergé à la montée de la lutte de classes, réponse s'appuyant sur la doctrine sociale édictée dans un encyclique papal valorisant la collaboration sous la référence à un but commun supérieur aux motifs d'affrontement. En dépit de son caractère circonscrit, une telle structuration du social s'est largement répandue à l'ensemble des sociétés à économie libérale (à commencer par les New Deal aux États-Unis et au-delà). Le syndicalisme de combat, estime Jean-Marc Piotte, s'est constitué suivant des inspirations marxiste et anarchique valorisant la lutte contre les pouvoirs et la propriété privée. Culminant dans les années 1970, il s'est affaissé avant d'être remplacé par une recherche de partenariat où l'offensive disparaît derrière une tentative de préserver les acquis des travailleurs avec ancienneté au détriment des nouvelles générations; disparue, également, derrière un ralliement à la cause nationale (aux côtés du PQ de du Bloc, ralliement regardé comme un abandon de la "question sociale"). La démocratie de participation, telle qu'instaurée principalement avec le Bureau d'aménagement de l'est du Québec, représente, écrit Jean-Jacques Simard, une tentative pour installer l'intelligence organisée (universitaire, technique, scientifique) au service des besoins, d'installer le citoyen via l'expert aux commandes du développement urbanistique; tentative s'étant attiré l'hostilité des politiciens (maires) traditionnels et du clergé, avant de se retourner, de consultation en vue de définir les plans, en écoute afin d'imposer des décisions. En dépit de son caractère circonscrit à l'exemple discuté, la participation est l'une des rares innovations présentés dans le cadre de cet ouvrage à avoir eu une postérité jusqu'à nous, quoi que sous une forme dénuée, souvent, des espoirs ayant bercé leur naissance. Ces contributions forment l'essentiel de l'ouvrage, de sa partie centrée sur le Québec. Michel Freitag clôt le colloque avec une présentation volumineuse (plus de 50 pages, soit 5 fois la dimension moyenne des contributions précédentes) sur le totalitarisme : (i) l'exemple du nazisme, (i.i) sa capacité à faire fond sur une pluralité d'idéologies de crise (chez les travailleurs, dans la jeunesse, au sein de la classe politique, du milieu des affaires) par (i.ii) la création d'une mystique (une altérité substantivée comme la source des humiliations du peuple allemand, un mouvement volontariste gravitant autour de l'identité délirante du Fuhrer), et par (i.iii) la conversion opérationnelle de cette mystique (l'exerce quotidien banalisé de la terreur faisant fond sur les valeurs petites- bourgeoises du respect del 'ordre et de l'autorité, et plus largement du travail bien fait). Ces points servent à distinguer le totalitarisme dans ses facettes circonstancielles et ses facettes essentielles ou formelles qui en font la spécificité. Sa spécificité formelle - la dissolution de la distance entre le pouvoir et sa source de légitimité, entre la norme et la réalité, entre les sujets empiriques et idéaux - est ensuite rapprochée point par point avec ce que Freitag nomme postmodernité, ou règne actuelle de la gestion décisionnelle-opérationnelle. Cet exposé de Freitag est, comme en général pour cet auteur, d'une lourdeur, d'une noirceur et d'une difficulté de lecture tout aussi considérables que puissamment documenté et finement analysé. La forme du colloque ou séminaire (baptisé d'après le sociologue Fernand Dumont), colloque fermé où chaque présentation est associée à un commentateur ayant préalablement lu la contribution à débattre, colloque, également, où chaque présentation suivie de commentaire s'enchaîne sur une discussion en plénière, est inhabituelle et présente d'abord l'inconvénient d'offrir aux lecteurs ce qui s'apparent à un plan de livre - davantage qu'un livre, les réflexions et remues-méninges ayant précédé et impulsé sa rédaction. Mais après une certaine phase d'habituation, il s'avère stimulant d'accéder à des échanges de vue qui laissent aux arguments alternatifs, aux nuances et aux désaccords la chance de s'exprimer et d'enrichir la réflexion. La principale lacune de l'ouvrage tient en ce fait que le Libéralisme n'est pas défini. S'agit-il d'une seule et même doctrine ou théorie sociale (ou politique, ou économique) ? La compréhension de ce dont il s'agit est tenue pour acquise - alors que tout s'y rapporte et prend consistance par opposition ou volonté d'en corriger les conséquences, ce manque à gagner définitionnel créer un flou plus que considérable et attentatoire à l'utilité de l'exercice.

Canada français (Le) Son temps ,sa nature ,son héritage

Par Gilles Gagné
(2,0)
1 commentaire au sujet de ce livre
Ce deuxième séminaire Fernand-Dumont réunit des historiens, théologiens, littéraires, sociologues et démographes pour examiner ce concept de Canada Français - à quoi renvoie-t-il (à un projet, à une configuration sociale, politique, économique originale, à une illusion rétrospective) ? Dans quelle géographie et période historique le situer ? Quelles en sont les dates et moteurs de constitution et d'affaissement ? Est-il, ou peut-il être, un héritage ? Il est difficile de tenter un compte-rendu des échanges condensés dans l'ouvrage tant y sont nombreuses les dispersions - désaccords, digressions par rapport aux thèmes proposés, idiosyncrasies terminologiques. Toutes déjà notables dans le 1e séminaire, elles sont, de manière sans doute révélatrice, quintuplées ici. Le Canada français est posé implicitement en un programme politique national mais les participants ne s'entendent pas pour lui reconnaître un appui et une résonance populaires réels. Louis Rousseau hasarde l'hypothèse que l'Église ait contribué à créer une religion civile supportant les oeuvres de charité (les devancières de la société civile et de l'économie sociale que nous connaissons) dans le Québec de 1840 à 1960, mais cette hypothèse est rejetée au motif que l'institution religieuse catholique, du fait de sa nature élitiste (seuls sont habilités à comprendre et à parler du culte ses ministres désignés) s'est très peu intégrée au tissu des interactions de la vie sociale, de la psychologie, ordinaires. Fernande Roy fait état sans la moindre nuance de l'opposition du milieu des affaires, du milieu XIXe siècle jusqu'à la création de la chambre de commerce montréalaise, à un nationalisme autre que Canadian unique, sans spécificité culturelle (religieuse et linguistique) revendiquée. Ce même Canada français a été rejeté de façon négligente dans la mémoire honteuse d'une période de "Grande noirceur" définie vaguement comme contemporaine des gouvernements de Maurice Duplessis, sans autre forme de procès. Lucia Ferretti s'inscrit en faux contre cette tendance en montrant comment les transformations associées à la Révolution tranquille (implantation d'une administration publique volumineuse, intervention de l'État dans les affaires sociales et la santé, laïcisation, extension des droits sociaux) ont été préparées, annoncées et facilitées par des dynamiques inhérentes à l'Église et à ses intellectuels. Point d'un intérêt majeur, Ferretti souligne que le projet d'une Église pour tous s'est heurté aux revendications des Irlandais qui ont obtenu, via des pressions à Rome, d'ethniciser les lieux de culte (d'avoir leur propre prêtre / curé, leur propre Église à l'encontre d'une communion avec les canadiens français). Les tendances au repli ne logent pas toujours à la seule enseigne des Québécois. Bien que Joseph Yvon Thériault monte un réquisitoire contre la volonté de rupture (de départ à neuf) des intellectuels associés à la Révolution tranquille, et milite pour la réinscription du Canada français comme héritage-question à la lumière de laquelle seulement la modernité québécoise peut faire sens, bien que le Canada français se soit parcellisé, fragmenté et décomposé en une multitude de "communautés" (acadienne, ontarienne, manitobaine, américaine) sans conscience de corps, sans velléité de diaspora. La mise en perspective habermasienne avec un bémol de son exposé est instructrice et pertinente (nulle société moderne n'existe sans réinterprétation conflictuelle de traditions qui lui donnent son orientation et sa personnalité caractéristique, de même qu'il n'est nulle couleur qui n'en serait pas une en particulier, aucun langage qui ne serait une langue ou aucune religion qui n'en serait pas une en particulier). Gérard Bouchard fait écho à des thèmes développés plus amplement dans son ouvrage Raison et contradiction , à savoir les thèmes de contradiction inhérents aux mythes qu'élaborent les collectivités nouvelles pour faire sens de leur situation dans le monde (contradictions telles que, bien que neuves, elles ressentent le besoin de s'inventer une histoire longue, et telles qu'elles inventent des passés de consensus ou d'unanimité là où un examen sérieux n'en révèle aucun). Il contribue ce faisant à défaire cette mémoire honteuse de la Grande Noirceur en y suggérant l'existence de caractéristiques sociales que la quasi-totalité des pays ont connu à la même époque, sans se dépeindre négativement pour autant. Condition de dominé oblige, la conscience de soi québécoise demeure auto-flagellante, auto-dépréciative et prostrée. Plusieurs des vues exposées au fil de l'ouvrage auraient mérité des développements plus amples que ceux auxquels elles ont été contraintes - 10 à 20 pages tout au plus. À défaut de quoi le lecteur reste, en refermant le livre, sur une impression de désordre empêchant toute signification globale d'émerger et de se rappeler à la mémoire. Les inconvénients inhérents à tout un livre collectif semblent plus nombreux ici que leurs avantages. Pouvait-il en aller autrement compte tenu de cet (non-/ anti-) héritage qu'est le Canada français ?

Culture Quebecoise Est-elle en Crise?

Par Gérard Bouchard et Alain Roy
(3,0)
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Bouchard et Roy ont convié plus de 250 intellectuels québécois des sciences humaines/sociales ainsi que des arts et lettres à répondre à la question du titre, en précisant l'ampleur, la nature, les manifestations, causes et remèdes (si applicable) à cette crise, en justifiant l'absence ou l'impossibilité d'une crise (si applicable), ainsi qu'à situer le Québec - présente-t-il un portrait exceptionnel ou similaire à celui d'autres sociétés occidentales ? Des 144 réponses obtenues, l'objectif était de tirer une synthèse offrant une vision cohérente, mais Bouchard et Roy se sont heurtés à une multiplicité limitant leur entreprise à n'offrir qu'une prémisse ou prélude à un éventuel examen resserré de la question. L'ouvrage s'ouvre sur ce constat dont les auteurs font état en terme d'une complexité révélatrice du context social (complexité comprise au sens minimal de "multiplicité de descriptions de l'état d'un système dans ce système" - définition personnelle inspirée de l'oeuvre du sociologue Niklas Luhmann), complexité dont l'ampleur et la robustesse sont dignes de mention à titre d'enseignement ou de leçon à tirer de l'ouvrage lui-même. Bouchard et Roy s'emploient ensuite à classifier les lignes de fractures entre les répondants, en prenant soin, non seulement de souligner la légère prédominance des constats négatifs (c'est-à-dire des lectures de la situation culturelle québécoise comme étant en un stade de désorientation, d'insignifiance et autres), mais également de montrer la faible variabilité des réponses en fonction du sexe et de l'âge des répondants. Je n'entreprendrai pas de résumer le condensé de ces lignes de fractures entre les répondants qui fournit la matière du premier chapitre, sinon pour insister sur la polysémie des termes (qui est une facette additionnelle et inhérente à la complexité - non celle de l'objet, mais de la perspective) : culture est généralement entendue au sens anthropologique de mode de vie et de pensée, de mode de coordination et de mise en commun, mais certains répondants en font une lecture centrée en priorité (sinon en exclusivité) sur les arts et lettres (la haute culture que l'on pourrait qualifier d'expressive et à vocation esthétique). Ensuite et surtout, crise est tantôt pris à titre de terme négativement connoté (similaire à une pathologie), tantôt positivement connoté (comme condition normale de toute culture en transition, sinon comme basse continue de la culture occidentale / moderne, où les valeurs de liberté, d'individualisation et d'autonomie sont fondamentales). Bouchard et Roy notent que certains des constats les plus sombres sur la situation québécoise et occidentale viennent des répondants estimant que l'absence d'une crise, négativement connotée, rend la situation autrement plus critique et alarmante : un affaissement généralisé de la valeur de nos actions et réalisations, une déclaration comme nulle et non avenue de toute parole avant même que d'être prononcée, vécus de manière diffuse, zombie, léthargique (empêchant l'advenue d'une crise dramatique sujette à redresser les perspectives). Aparté L'adaptation aux valeurs de la modernité (à ses dynamiques d'individualisation des rapports à soi/autres/monde, de démocratisation de l'État-nation, de croissance d'une économie capitaliste, voir Louis Côté, L'inscription des sociétés non occidentales dans la modernité) explique très largement les inquiétudes et anxiétés exprimées périodiquement dans les constats de crise - bien qu'il ne puisse s'agir de réduire ceux-ci à cette adaptation (il se pourrait que chaque époque et chaque groupe culturel ait sa part de Cassandre). Il y a un parti-pris Héraclitéen dans notre condition culturelle qui liquéfie et mobilise, déstabilise et remet en question, retourne chaque pierre (prétention à la stabilité, à la permanence, à la synthèse directrice). Ce fait présente sa part d'inconvénients (diversement répercutés au plan psychologique) et d'avantage si ce n'est celui de nous forcer à admettre la friabilité de certaines de nos prétentions (y compris celles de pouvoir porter un jugement d'ensemble sur un domaine aussi vaste que la culture anthropologique). Chaque auteur présente ensuite un essai personnel faisant état de son positionnement, et de sa lecture des résultats du questionnaire. Alain Roy admet l'incapacité où il se trouve à faire de ces résultats une synthèse significative, tant les directions et prises de positions, pour ne pas être quelconque et aléatoires, n'en sont pas moins variées et opposées. Suivant les mêmes paramètres que ceux soumis aux participants (crise ou non, nature, intensité, manifestations, causes, remèdes, exceptionnalité ou non de la situation québécoise), il présente un point de vue penchant pour un constat de crise négativement connotée, où le rétrécissement de la vie intérieure consécutif à l'éclipse des valeurs transcendantes (ou hyperbiens, dixit Charles Taylor) appelle à une restitution d'horizons plus vastes et irréductibles à la volonté de contrôle (fût-il exercé, ce contrôle, pour assouvir une soif inextinguible de divertissement). Ces valeurs, jadis sacrées ou sur-humaines, Roy les reconstitue autrement sous l'intitulé de problèmes irrésolubles. L'admission de l'existence de tels problèmes irrésolubles aurait, espère Roy, le pouvoir de décentrer les agents sociaux de leur quête inflationniste du moi (ou serait-ce du surmoi , pour continuer avec une terminologie quelque peu surannée). Gérard Bouchard présente un éventail des constats de crise présents dans la littérature (surtout sociologique et philosophique) européenne, avant de justifier la méfiance, la retenue teintée d'inquiétude et d'espoir avec lesquelles il lui semble opportun de considérer ces constats - voir même, ce genre littéraire que constituent les diagnostiques crépusculaires. Il analyse ensuite la dynamique culturelle sous les deux intitulés de la transformation du mode d'adhésion aux valeurs cardinales de la modernité, et de changement des balises dans lesquelles cette transformation a lieu. Il prend surtout grand soin d'inscrire son analyse dans la sociologie des imaginaires et des mythes collectifs dont il défend le programme, suivant une définition du mythe qui me semble questionnable (à suivre, ma lecture & compte-rendu prochains de Raison et déraison du mythe : au coeur des imaginaires collectifs). Des extraits de réponses offertes au questionnaire par différents intellectuels (dont certains anonymes) composent la dernière partie de l'ouvrage.

Raison et déraison du mythe: au coeur des imaginaires collectifs

Par Gérard Bouchard
(5,0)
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Contre les convictions évolutionnistes nourries par les Lumières, Bouchard présente le mythe comme dimension transcendantale (condition de possibilité), autant moderne que primitive, du maintien de la cohésion sociale, de la motivation ou identification individuelle au groupe. Loin des charges postmodernistes contre la raison, contre l'argumentation appuyée sur l'observation de régularités fiables, réplicables et mesurables, il entend nous faire mieux apprécier les domaines respectifs, grandeurs et misères, de chacun. D'après sa thèse centrale, mythe et raison forment un tandem irréductible compte tenu que la seconde rencontre des contradictions ou des inconsistances dans son exercice (par exemple, en établissant que tout énoncé doit être tenu pour vrai ou pour faux, la logique pose du même coup un principe qui ne peut être tenu autrement que pour vrai, énonciation et violation du principe étant simultanées), et compte tenu que seul le mélange sacralisé d'événements, d'imaginaires et d'émotions offert par le mythe permet d'en sortir (par contournement). Le premier chapitre établit la définition du mythe social qui figure au centre de la démarche. La revue des différentes définitions disponibles dans la littérature sociologique, anthropologique et plus largement philosophique présente beaucoup intérêt. Elle a remis en question la généralité de la définition qui m'était chère (celle du mythe comme récit cosmogonique, relatant la genèse du monde - ou d'un ensemble d'éléments précis de son mobilier - à travers les actions d'être divins et humains, situés dans une temporalité révolue, un temps d'avant, distinct de celui dans lequel ses utilisateurs baignent). Bouchard prend notamment ses distances d'avec Clifford Geertz (son insistance sur la cohérence et la systématicité), Cornelius Castoriadis (sa prétendue identification de l'imaginaire social avec un programme de changement révolutionnaire) et Claude Levi-Strauss (son omission de la charge émotive inhérente au mythe, sa genèse et son efficacité). Le second chapitre décrit le processus de construction (genèse, émergence) du mythe, de ses composantes (notamment les images ou archétypes fondamentaux) et articulations; processus de mythification au terme duquel se reconnaît la sacralisation (le saut cognitif ) et la constitution en un horizon d'actions et de justifications (un ethos, suivant la terminologie proposée), d'un événement (ancrage) victorieux ou rabaissant, entouré d'une charge affective forte (empreinte). L'analyse du fonctionnement et de l'efficacité du mythe social, le caractère stratégique de ses utilisations (l'avantage dans les rapports de force qu'il confère à certains acteurs), occupe le troisième chapitre, dans lequel les techniques de persuasion occupent une position d'une importance et d'un intérêt particuliers. La variabilité des mythes sociaux, leur hiérarchie (mythes centraux vs périphériques) et leur articulation mutuelle fait l'objet du quatrième et dernier chapitre. L'objectif global de Raison et déraison du mythe est de présenter un programme de recherche, le cadre théorique et la perspective dans lequel il incombe selon Bouchard de le mener. Comme mentionné d'entrée, cet objectif me semble atteint avec aplomb, tant brille d'évidence (à distinguer de l'arrogance) la maîtrise de la littérature. Il est également de fait que les illustrations empiriques, puisées à l'histoire du Québec, du Canada, et d'une diversité de pays (incluant le Japon, la Chine et la Russie), que ces illustrations données tout au long de l'exposé en support aux arguments et distinctions conceptuelles sont opportuns et instructifs. Un bémol quant au programme et à la perspective. En dépit d'affirmation contraires, c'est-à-dire en dépit de la volonté répétée de suivre la délimitation du mythe social comme objet d'enquête, il m'apparaît évident que l'utilisation des outils proposés ici est vulnérable à la construction d'un méta-objet, à savoir : d'un mythe tout-englobant, englobant pratiquement tout et son contraire - les droits humains, les théoriques scientifiques, l'actualité journalistique, les décisions économiques, les programmes et politiques publiques, pour ne nommer que ces exemples cités comme illustrations de ce que les mythes sociaux recouvrent, motivent et orientent. Autant la satisfaction de lire un ouvrage comme celui-ci est grande compte tenu des qualités citées rapidement ici (auxquelles s'ajoutent rigueur et élégance), autant l'est le risque d'être déçu de suivre un programme partant sur un objet sujet à se dissiper dans le tout et à former une nouvelle métaphysique.

Interculturalisme (L'): Un point de vue québécois

Par Gérard Bouchard
(4,0)
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L'immigration et les rapports de majorité à minorités sont la source des plus vives tensions. Prenant acte des consultations co-présidées avec Charles Taylor (2007-2008), Gérard Bouchard expose ici la conception de l'interculturalisme qu'il estime adéquat au Québec, adéquat à résoudre les peurs rendant la majorité peu / non encline à aborder la gestion de la diversité de manière constructive. L'ouvrage débute par une définition des paramètres et conditions que la gestion ethnoculturelle doit satisfaire au Québec pour satisfaire au besoin légitime de la majorité francophone de perdurer et de s'assurer un avenir, ainsi que la définition des principaux paradigmes ou balises empruntés par les différents pays confrontés au même défi (paradigme de la diversité, de l'homogénéité, de la mixité, de la bi ou multi-polarité, et paradigme de la dualité - auquel va la préférence de Bouchard) (chapitre 1). S'ensuit une présentation détaillée du modèle interculturaliste prôné, de son souci d'assurer le respect des valeurs et principes fondamentaux de la majorité (le français comme langue commune, la laïcité, l'égalité homme-femme) tout en respectant le droit des minorités à protéger et à vivre selon leurs héritages, et tout en valorisant la construction d'une culture commune via des échanges, des interactions et des rencontres (chapitre 2). Les lignes de divergence entre l'interculturalisme ainsi compris et le multiculturalisme promu par loi au Canada à partir de 1971 sont clarifiées (chapitre 3); avant la réponse à chacune des critiques adressées, sur des fronts culturels et civiques-juridiques, à l'interculturalisme (chapitre 4). Le prolongement et la cohérence de l'interculturalisme avec un "régime de laïcité" sont explicités au chapitre 5. Cet ouvrage repose sur une connaissance solide des études entreprises au sujet de la gestion de la diversité ethnique et culturelle, au sujet des politiques publiques ainsi que des lignes directrices adoptées à d'autres niveaux que national (niveau de chaque ministère, niveau des municipalités, de certains corps de métier). Il présente l'avantage, pour le lecteur, d'enrichir sa perspective de manière raisonnable, non émotive, en rejetant les solutions radicales (bannir la religion, fermer les frontières à l'immigration, notamment), et engageant sur des pistes tout aussi nombreuses que prometteuses. Un défaut, dont on peut difficilement faire porter le blâme à Bouchard, tient en ce que l'interculturalisme continue d'être boudé et non appliqué, semble-t-il, par les partis et gouvernements au Québec (constat posé à deux reprises dans le présent ouvrage), faute d'amour du Québec et du souci de lui garantir un avenir comme nation distincte (minoritaire) au sein du Canada et de l'Amérique du Nord dans certains cas, faute d'intérêt à vouloir déssaisir l'électorat des vagues de stresse et de panique (toute Léo Straussienne*) avec lesquelles les médias et la toile font recette, ou faute, finalement, d'une vision autre qu'inconditionnellement diabolisante des nations et des majorités, et célébratoire des minorités. * Le/la politique est la désignation d'un ennemi. Cette formule du philosophe politique allemand Léo Strauss condense âprement une certaine vision selon laquelle la vie politique repose fondamentalement sur le resserrement des membres d'un groupe autour de ses chefs, sur la clarification et la défense de ses règles de vie comme étant préférables et supérieures à celle du barbare (du terroriste, de l'écologiste, du Québecois intolérant etc.) qui menace.

Retrouver la raison : essais de philosophie publique

Par Jocelyn Maclure
(4,0)
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Retrouver la raison est un recueil de courtes interventions du philosophe parues sur des blogue et dans diverses revues sur une période allant de 2010 à 2015. Son objectif global est de contribuer à faire reculer le "bluff" de l'espace public (le bluff n'étant pas un mensonge, mais une exagération lancée de manière offensante sans souci de fournir de justification empirique), contribuer, plus largement, à la gauche réformiste (plutôt que radicale) et à la défense du rationalisme réaliste. Cette dernière posture relève d'une défense de la coopération sociale et de la recherche du bien commun par l'usage du débat et par la recherche du meilleur argument prenant en compte les limites, faiblesses et biais cognitifs que la psychologie expérimentale et morale a abondamment relevé au cours de la période récente - biais parmi lesquels Maclure range l'inertie, la faiblesse de la volonté et la recherche spontanée (souvent entêtée) de confirmation à nos intuitions. Le rationalisme est réaliste quant à notre capacité de fixation et de révision des croyances (réalisme de la perspective), et réaliste au sens de l'objet à débattre : il existe des faits à l'existence indépendante dont nous devons tenir compte, et qui doivent contraindre nos choix et décisions possibles, à commencer par contraindre les arguments (et accusations) avancés publiquement. Bien que certains faits dépendent intrinsèquement de l'observateur et de la convention (de l'entente), tous n'en sont pas (il existe un réalisme épistémique, relatif au mode de connaissance, et un réalisme ontologique, relatif au mobilier du monde). Le programme de déconstruction postmoderniste des légitimations philosophiques de la modernité (l'émancipation par l'usage de la libre discussion/débat et la production de connaissance objective-prédictive) procède largement d'une confusion entre réalismes épistémique et ontologique, et il s'est avéré insuffisant à fournir des justifications et modes de production alternatifs de connaissances fiables ou réputées vraies; échec, également, à justifier un engagement pratique, déplore Maclure. Les sujets abordés vont des débats occasionnés sur la Charte des valeurs et les accommodements raisonnables (lesquels comptent pour une majeure partie des textes), le financement des écoles privées en général, et des écoles privées confessionnelles en particulier, le franglais, les causes à l'affaiblissement des appuis à la souveraineté du Québec (et ce, à l'encontre de la thèse de la fatigue culturelle popularisée par Hubert Aquin, et celle de l'intériorisation par les québécois du mépris anglais à leur endroit), le calcul de la péréquation (contre le calcul simpliste voulant que le pétrole albertain paie les programmes sociaux du Québec et les maintiennent involontairement dans un esprit non-concurrentiel) la séparation et l'articulation des pouvoirs juridiques et législatifs-exécutifs (à l'encontre de la lecture voulant que la Constitution de 1982 ait imposé un "gouvernement des juges"), la tarification des services publics et leur conjonction à l'imposition progressive. Un texte traite explicitement d'un complément à la défense du rationnalisme réaliste, texte qui opère la conjonction avec des préceptes favorisant la communication coopérante (Paul Grice, communique de manière telle à contribuer aux buts convenus) et la générosité interprétative (Daniel Dennett, une thèse n'est pas réfutée tant qu'elle n'est pas examinée sous sa meilleure formulation). Ayant été un défenseur de la Charte des valeurs, et demeurant un partisan de la souveraineté du peuple québécois, j'ai puisé à cet ouvrage une excellente base pour re-positionner et questionner le bienfondé de mes convictions. Par surcroît, je suis personnellement disposé à employer des études de psychologie (cognitive, développementale, comparée) suivant le conseil de Maclure, c'est-à-dire en tant que correctif et guides dans la tâche essentielle de réhabiliter nos capacités à mener des dialogues / débats rationnels. Le seul bémol que je trouve à émettre vient de ce que la multitude, et la brièveté (pour ne pas dire la courteur), des textes rend l'ensemble légèrement disparate et laisse quelque fois le lecteur sur sa faim. Néanmoins, un livre instructif, constructif qui saura, espérons, faire école.

De la Nation a la Multination

Par Alain-Gustave Gagnon et Raffaele Iacovino
(5,0)
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"Bien que plusieurs acteurs de la communauté politique canadienne soient ouverts à de nouvelles conceptions, à de nouvelles normes, à de nouvelles dynamiques identitaires et à de nouvelles dynamiques de pouvoir, l'existence du Québec en tant que nation jouissant du droit à l'autodétermination reste toujours irrecevable. [...Pourtant, cette] question québécoise fournit au Canada l'occasion de réaliser ses promesses et de se définir à partir de principes qui lui sont propres et qui reflètent son histoire, sa société, sa diversité nationale et culturelle" (p.10-1) Suivant une approche contextuelle de la théorie politique, Alain G. Gagnon et Raffaele Iacovino examinent l'histoire constitutionnelle du Québec et du Canada, de la fin de la Guerre de sept ans (Proclamation royale) jusqu'à la Loi C-20 (dite "sur la clarté"), en plaidant, à la suite du philosophe James Tully, pour l'instauration d'un fédéralisme multinational dont les trois piliers sont la reconnaissance mutuelle, le consentement et la continuité. Le fédéralisme multinational renoue avec, et réactualise, la vision fondatrice de la Constitution en tant qu'entente/compromis entre peuples ou nations préconstituées. Ils proposent à cette fin une série d'actions sujettes à éviter les impasses des partis fédéraux actuels, ainsi qu'à permettre d'instaurer la reconnaissance mutuelle en remplacement du climat pour le moins maussade et résigné qui prévaut depuis 1995. La prise en compte des identités et des droits collectifs, et l'élargissement des fondements institutionnels et des allégeances au-delà des cadres territoriaux et des cultures prépolitiques, ont transformé la théorie libérale ainsi que les régimes de citoyenneté et orientations des politiques d'intégration et de la gestion de la diversité. Une part notable de l'introduction retrace ces transformations, allant de l'affrontement entre libéraux procéduraux (rawlsien) et communautaiens, jusqu'au nationalisme et au culturalisme libéraux (tels que thématisés par Kymlicka). Gagnon et Iacovino estiment que la persistance des cadres territoriaux dans la fixation des principes de légitimité, de représentation, de délibération et d'imputabilité forme un cadre d'analyse irréductible. Ce principe opère la distinction fondamentale, mais sacrifiée par le régime instauré en 1982, entre les nations minoritaires et les groupes ou associations déterritorialisées créées par intérêt. Conjointement avec l'adoption d'une perspective relationnelle et flexible des identités ainsi que de la hiérarchie dynamique des niveaux d'allégeances, ces principes arment les auteurs afin de procéder à la lecture critique du régime canadien tel que nous le connaissons ou tel que, suivant un certain désengagement qui consiste à attendre que les questions sérieuses se règlent d'elles-mêmes (voir Le Code Québec) nous le méconnaissons. Les tentatives britanniques d'assimiler la nation francophone remontent à l'officialisation de la victoire Anglaise sur la France au terme de la guerre de sept ans (Proclamation royale de 1763). L'échec de ce projet explique la reconnaissance, dans l'Acte de Québec (1774) et dans l'Acte constitutionnelle (1791) du caractère multinational du Canada, et de la liberté accordée aux francophones de se développer indépendamment des colons anglais nouvellement arrivés. La résistance des français à l'assimilation explique pareillement pourquoi, dans la loi impériale de 1867 (considérée comme une Constitution, ou communément, une Confédération) ainsi que dans les rencontres de Québec l'ayant précédé, le caractère de facto fédéral d'un régime de jure unitaire ait été reconnu ("bien que le Canada soit sur papier une union législative [...] nous savons que, depuis l'Union de 1841, il a été dans les faits une union de type fédéral" John A. Macdonald, cité p.41). Les Canadiens français et ultérieurement les Québécois ont adhéré avec constance à la vision d'après laquelle la Constitution de 1867 ainsi que sa version rapatriée en 1982 se fondent sur la continuité avec les traités de 1774 et 1791, à savoir la continuité avec la vision des deux peuples fondateurs se reconnaissant et établissant une entente/compromis sur la séparation de leurs pouvoirs. Bien que, à l'extérieur du Québec, cette vision ait eu ses supporteurs au cours de la première moitié du siècle dernier, elle ne subsiste qu'en vertu de certains arrêts de la Cour supérieur, sur lesquels les auteurs prennent appui dans leurs recommandations. Elle a été minorisée et effacée au fil du temps (confirmant une des observation contenues dans le rapport de la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels (rapport Tremblay, 1961, voir commentaire)). Un point central de l'ouvrage est de démontrer que, en rompant avec cette tradition de reconnaissance de deux nations souveraines au sein du Canada, le régime canadien trudeauiste s'est à la fois appauvrit au plan de son caractère fédéral, à savoir, au plan de la reconnaissance des majorités territorialement ancrés (avec régime démocratique représentatif soumis à la légitimité populaire, à la délibération et à l'imputabilité) comme partenaires de négociation égaux (bien que démographiquement inégaux), et appauvrit au plan de sa capacité à structurer et reconnaître la diversité. Cette démonstration s'effectue moyennant l'examen de l'architecture du régime tel qu'elle peut être, largement, déduite du caractère d'institution centrale conféré à la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution de 1982; institution sapant toute loyauté territoriale autre qu'au gouvernement central (institution attribuant aux citoyens une identité qui supporte ce dernier, selon une logique où le droit libéral relève entièrement du gouvernement central, tandis que les initiatives provinciales en matière de citoyenneté actives sont dépeintes comme réactionnaires). Cette démonstration repose également sur l'examen de la dissociation entre citoyenneté formelle et citoyenneté active créée par la centralisation de la légitimé au gouvernement central, laquelle s'incarne en un type de gouvernance, symbolisé par l'Entente-cadre sur l'union sociale (1999 - ), tel que les objectifs et les normes des programmes de politiques sociales sont décidés unilatéralement à Ottawa, laissant les provinces ramer (exécuter), et obtenir à la pièce des ententes dites bilatérales, de nature administratives (révisables par Ottawa en tout temps), les autorisant à gouverner dans leurs champs de compétences. La démonstration de l'appauvrissement du caractère fédéral du régime canadien inclut d'autres dimensions, dont la comparaison des régimes de citoyenneté québécois, axé sur l'interculturalisme (valorisation de l'échange, de la réciprocité dans la construction d'une culture commune), et canadien, axé sur le multiculturalisme (droits individuels, absence de culture commune auxquels les groupes polyéthniques contribuent, culture canadienne non définie autrement que comme la somme des héritages auxquels les individus choisissent de s'identifier, dans les limites permises par la Charte) (voir chapitre 4 Créer des contextes de choix). Les implications d'une conception relationnelle et hiérarchique de l'identité et de l'allégeance sur le fonctionnement d'un régime fédéral multinational sont examinés au chapitre 5 (Négocier l'adhésion) sous l'angle comparatif avec le régime clientéliste et fixiste actuel (où, en vertu de la centralisation des pouvoirs et la monopolisation de la légitimé démocratique au gouvernement central, les gouvernements provinciaux, les groupes associatifs, les entreprises et les individus sont tous également branchés en ligne directe sur les demandes de fond, traités comme groupes d'intérêt interchangeables, assujettis aux mêmes conditions, réputés vouloir/ revendiquer les mêmes droits, et réputés tombés sous les mêmes intitulés généraux). "La citoyenneté substantielle ne peut prendre forme qu'à travers son exercice, et non par son assujettissement. Le sentiment d'appartenance à une communauté politique se construit au fil de luttes qui portent sur une myriade de questions matérielles, sociales et culturelles, et non en quémandant la reconnaissance du gouvernement central" (195-6). De cette perspective, les auteurs déduisent une lecture du caractère post national revendiqué du Canada divergente de la vision actuelle. Les propositions avancées pour renouer avec la nature multinationale du Canada, et régler la reconnaissance du Québec comme nation ou société distincte (fruit de la Révolution tranquille), sont appuyées sur le jugement de la Cour suprême sur le droit du Québec à faire sécession; propositions évitant l'acrimonie d'un référendum, et promettant, comme mentionné d'ouverture, de renouer, en lieu en place d'une attente d'assimilation nourrit (observation personnelle : ) par le jeu conjugué de l'immigration et du découragement, avec la reconnaissance et le respect mutuels (chapitre conclusif).

Les conditions du dialogue au Québec: laïcité, réciprocité...

(4,0)
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La majorité des contributeurs de cet ouvrage brille par une connaissance fine des enjeux légaux-juridiques et par une variété d'objections de principe aux refus d'une politique de valorisation du pluralisme ethnique et identitaire, et aux refus des accommodements raisonnables. Le point de vue critique du projet de Charte des valeurs et de la laïcité tend nettement à prévaloir, pour des motifs divers allant d'un (i.) rejet des confusions dont celle-ci serait porteuse entre publicité (caractère public) et représentation (parler en public et parler au nom du public), et une objectivité théologique de la signification des signes religieux (signe dont la signification est fixée par Dieu une fois pour toutes) autorisant un paternalisme (une protection des minorités religieuses contre elles-mêmes) et une pathologisation de la diversité religieuse (crainte comme nuisance actuelle ou potentielle à la paix publique) (Arash Abizadeh, chapitre 1), et d'une (ii.) analyse de la spécificité québécoise en matière de gestion de la diversité (manque d'expérience antérieure disposant à accepter le pluralisme religieux, absence de contact avec les données empiriques et les réalités; abstraction excessive des positionnements sur la laïcité, exagération infondée de la distinction entre un multiculturalisme diabolisé comme ghettoïsant et l'interculturalisme; conviction qu'il n'existe aucun outil structurant la gestion de la diversité; légèreté avec laquelle la violation des libertés fondamentales est prise dans l'opinion publique; caractère mensonger des prétentions à une laïcité culturellement neutre - laïcité érigée par certains en un véhicule de combat de la religion; l"islamophobie", et la primauté de l'opportunisme politique sur la rigueur d'analyse, Pierre Anctil, chapitre 2) à une (iii.) analyse des libertés fondamentales (de conscience, d'opinion, de religion, d'expression) protégées par le droit (québécois et canadien), analyse des motifs justifiant leur suspension (une atteinte aux droits d'autrui et à la paix publique), et analyse des motifs conduisant aux accommodements raisonnables (non pas obtenir un passe-droit ou un privilège, mais redresser une discrimination vécue dans l'accès aux services et biens publics en vertu d'un marqueur ethnique), analyse des barèmes ou encadrements déjà existants (dans la jurisprudence) et conduisant à accepter les accommodements sous conditions qu'ils ne nuisent pas au fonctionnement des institutions ou entreprises, qu'elle n'impose pas un fardeau financier notamment, à (iii.) la recherche de conditions facilitant le dénouement (au moins partiel) du paradoxe libéral-démocratique qui consiste à requérir une coopération et une éthique amicale au-delà ou côte-à-côte avec l'expression et l'expérience répétée de l'antagonisme et du conflit entre positionnements moraux et pratiques (Jocelyn Maclure, chapitre 11); et à une (iv.) incrimination de la "blanchité" (whitness) et de l'occidentocentrisme comme sous-bassement idéologique et moral non problématisé, et empêchant, depuis les 40 ans où la volonté d'instaurer le pluralisme dans le dialogue et l'échange, de parvenir à ce but effectivement (chapitre 12, Daniel Salée). Les autres sujets traités incluent les conséquences de la promulgation des libertés fondamentales sur l'exercice de la souveraineté (non plus une liberté de mener quelque projet que ce soit sur une période de quatre ans), conséquences tenant au premier chef en la multiplication des consultations populaires et l'implication de la population, autant dans le démarrage, le suivi que l'évaluation des actions gouvernementales (Renée Dupuis, chapitre 4); le recul de la délibération démocratique sensée lors du conflit ayant opposé les étudiants opposé à la hausse des frais de scolarités et le gouvernement (David Sanschagrin, chapitre 5); la protection accordée par le Code criminel canadien depuis 2004 aux incitations au meurtre, à la diffamation d'individu ou de groupe, et aux appels à l'exclusion socio-politique prononcés "de bonne foi, au nom d'une religion" (Paul May, chapitre 6); un bilan des exercices de consultation publique au Québec comportant des leçons pour le futur (Michel Venne, chapitre 7, le seul intervenant pour qui la laïcité de l'État québécois reste à parachever); la diversité des régimes de laïcité et la promotion de l'interculturalisme comme régime approprié au Québec (Sébastien Lévesque, chapitre 8); la distinction entre laïcité et sécularité/sation (Solange Lefebvre, chapitre 9).

Un Québec exilé dans la fédération

Par Guy Laforest
(3,0)
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Ce recueil de dix articles traite d'autant de sujets, comprenant le segment de l'histoire du Canada où le fondement du fédéralisme multinational (détruit en 1982) a été posé ; la relation entre la Charte des valeurs québécoises mise en débat en 2014 et la situation minoritaire du Québec au sein du Canada et de l'Amérique du Nord ; le rôle de Lord Durham et de son rapport dans la genèse du nationalisme canadien français puis Québécois ; la défense d'une réhabilitation du fédéralisme contre le désaveu survenu en 1982 ; l'examen du caractère global et multidimensionnel du déficit fédéral actuel, assorti d'observations sur la lourdeur des obstacles pesant sur la correction de ces déficits ; l'opposition de Claude Ryan à Pierre Trudeau ; l'évaluation du ''gâchis de 1982'' et du dogmatisme intellectuel de Pierre Trudeau par l'un de ses proches conseillers et rédacteur de discours, André Burelle ; la conférence constitutionnelle précédent le rapatriement ; les critiques adressées au philosophe James Tully par Michel Seymour; l'exil Québécois au sein du Canada proprement dit, et trois remèdes possibles (qui se limitent à des modifications à apporter à la Charte Canadienne des droits et libertés). Force du livre • L'analyse offerte du régime canadien, en particulier de ses déficits structurels et culturels en matière de fédéralisme, est claire, appuyée sur des références solides et partagées (notamment, par des figures aussi divergentes que Joseph Facal, Jean Charest, Benoît Pelletier), et la qualité de la vulgarisation est indéniable; Faiblesse du livre • On remarque un certain manque d'uniformité dans les intentions - le projet d'une constitution interne au Québec, par exemple, est d'abord désavoué puis avancé en guise de solution possible à la fin de l'exil; • Comme recueil, Un Québec exilé dans la fédération accuse un certain manque d'unité -au risque d'exagérer, il semble que les 10 chapitres soient autant de livres en soi.

Comment nous sommes devenus moraux

Par Nicolas Baumard
(4,0)
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Nicolas Baumard défend l'existence d'un sens moral tel qu'il fut avancé dès le 18e siècle par les philosophes comme Shaftesbury, Hutcheson et Adam Smith. Ce sens fonctionne au même titre que l'ouïe et la vue, de manière automatique, universelle, innée et spécifique. De même que nous ne pouvons voir le monde autrement qu'en couleurs, nous ne pouvons ressentir autrement que comme morales les situations sociales mettant en jeu une divergence entre intérêts. Il reprend et actualise cette thèse du sens moral en recourant aux idées forces de la tradition contractualiste (Hobbes, Rousseau, Rawls, Gauthier) et de la psychologie évolutionnaire. L'hypothèse selon laquelle nous agissons de manière conforme à (ou de manière à rechercher l'équilibre entre) nos intérêts mutuels s'avère adéquate à nos intuitions morales et elle en forme le contenu propre et spécifique, qui distingue le proprement moral d'autres dispositions (tel le souci de la réputation personnelle). Mais cette même hypothèse ne peut recourir à aucun contrat réel passé entre les membres du groupe social pour expliquer que ceux-ci agissent par égard à leurs intérêts mutuels. Une des contributions centrales de Baumard est de remédier à cette lacune à l'aide de l'hypothèse évolutionniste d'un marché de la coopération ayant agi comme mécanisme favorisant la sélection d'une motivation à prendre les intérêts d'autrui en compte et à rechercher un équilibre entre ceux-ci et ceux de l'agent. Une part notable de l'ouvrage consiste à détailler le caractère théoriquement plausible et empiriquement réaliste de cette hypothèse, d'une part, et à montrer sa supériorité épistémique par rapport à ses rivales : la thèse culturaliste du holisme (le jugement et les sentiments moraux sont appris par les individus en tant qu'ils s'insèrent dans un ensemble de traditions qui les précèdent dans le temps), la thèse naturaliste de la sélection de groupe et de l'altruisme (aussi dénommé utilitarisme, pour lequel le sens moral repose sur le sacrifice d'individu ou d'un petit nombre d'individus en faveur du groupe, et s'appuie sur la punition), la thèse darwinienne classique du continuisme (ou morale des vertus, selon laquelle les dispositions prémorales que nous partageons avec les autres mammifères, la sympathie, l'affection parentale, le dégoût, en viennent à former notre sens moral grâce à l'apparition ultérieure de la capacité du langage et à la culture, qui raffinent ces dispositions et alignent leur exercice sur les attentes du groupe; voir Jonathan Haidt,The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion, pour une articulation récente de ce point de vue). Une part de la défense du mutualisme naturaliste et du marché de la coopération consiste à démontrer que les hypothèses de celles-ci correspondent mieux que leurs rivales aux observations ethnographiques (sur les peuples non-occidentaux), aux jeux économiques (ultimatum, dictateur, bien public), aux dilemmes du wagon (trolley dilemma), notamment, une fois pris en compte un ensemble de distinctions entre intuitions et jugements réflexifs, entre normes environnantes et jugement personnel, entre jugement et comportement. Baumard estime démontrer notamment l'inutilité de la punition pour le développement du sens moral et pour sa protection, de même que l'incapacité du holisme et du continuisme à rendre compte de la spécificité du sens moral (en vertu duquel nous sommes en mesure de différencier notamment notre devoir moral d'une action inspirée par le dégoût, par la conformité aux règles, aux autorités ou par affection/ sympathie envers nos parents et amis). Une autre part intéressante de la défense du mutualisme naturaliste repose sur l'examen du rapport de celle-ci à la psychologie intuitive (soit à la capacité d'attribuer et de partager les états mentaux - buts, croyances et intentions, d'autrui). À la différence de Tomasello (voir A Natural History of Human Morality), Baumard soutient que le sens moral précède, et fonctionne indépendamment, de la psychologie intuitive, mais que celle-ci affecte ultérieurement son axiologie intuitive, à savoir, l'évaluation faite des intérêts en jeu (à commencer par l'évaluation de la responsabilité des actions). Baumard reprend cependant une part notable des études de psychologie comparée menée par Tomasello et son équipe, démontrant que la pauvreté de la psychologie intuitive des autres primates (leur faible accès aux états mentaux d'autrui) se traduit en une faible capacité à communiquer dans le but de coopérer (faiblesse de la capacité et de la motivation communicative se traduisant par une capacité coopérative restreinte et peu diversifiée, limitant d'autant la capacité sinon la motivation à prendre les intérêts d'autrui en considération). Forces du livre • Baumard transcende le dualisme simplificateur entre égoïsme et altruisme dans lequel la réflexion sur l'origine (ou l'impossibilité) de la motivation morale authentique s'engouffre parfois trop rapidement; • À la différence des philosophes et psychologues qui en ont usé avec avidité pour démontrer le bienfondé de leurs postulats (voir notamment Greene, Moral Tribes: Emotion, Reason, and the Gap Between Us and Them), Baumard estime à bon droit que les jeux économiques de type dictateur ou ultimatum, dans lesquels le partage et l'équité sont établis entre étrangers qui n'ont jamais interagi auparavant, ni ultérieurement, n'a qu'une validité écologique faible et réduite ; • La richesse des distinctions conceptuelles employées enrichissent considérablement l'analyse et en favorisent l'avancement; • Il y a une maîtrise claire d'un large pan de la littérature philosophique et scientifique pertinente à son objectif. Baumard écrit avec clarté, sans jargon, sans pesanteur. Sa maîtrise du champ est palpable dans l'ensemble de l'ouvrage, et donne la satisfaction d'avoir un vue globale de l'état des réflexions dans le domaine de la philosophie et de la psychologie morales ; • L'auteur s'inscrit ouvertement dans la continuité d'autres penseurs, dont Adam Smith (celui de la Théorie des sentiments moraux , qui jette, sur les motivations humaines, un éclairage différent, plus authentique, que La richesse des nations ) et Dan Sperber, tout en évitant les affrontements caricaturaux. Les différences entre mutualisme naturaliste, continuisme, et utilitarisme - altruisme, d'abord mises au premier plan, sont ensuite relativisées et recadrées de manière à rendre leurs points focaux complémentaires; • La volonté de favoriser la maturation du mutualisme naturaliste conduit Baumard à dresser une carte des territoires à explorer et des possibilités de mettre cette hypothèses en difficulté, ce qui atteste de la qualité d'esprit avec laquelle l'ouvrage est conçu Faiblesses du livre • Il paraîtra que les arguments réputés suffire à démontrer le caractère autonome, universel, spécifique et inné du sens moral, son unicité par-delà l'apparente diversité des jugements, sont rapides et courts, peut-être trop ; • Le même concept de mécanisme est employé, tantôt en référence à une entité discrète telle un organe, tantôt en référence (suivant les recommandations de Jon Elster) à une successions ou configuration caractéristique d'interactions (un mécanisme évolutionnaire au sens de la sélection de parentèle ou de la sélection des meilleurs partenaires de coopération); cette ambiguïté est un irritant, certes mineur, mais un irritant tout de même. •Pour central qu'il soit, le concept d'intérêt n'est jamais défini. Son évidence peut être questionnée à la lumière de la diversité des usages qu'en fait Baumard, et de celles que l'on retrouve dans les discussions ordinaires.

Une belle histoire du temps

Par Stephen Hawking
(3,0)
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Une belle histoire du temps offre un aperçu de l'histoire de la physique allant des anciens Grecs et, surtout, de Copernic à l'actuelle quête d'une théorie quantique de la gravité, en passant par la relativité restreinte et générale, les théories des cordes, le principe d'indétermination, l'intégrale des chemins et la dualité onde/corpuscules. L'ouvrage se veut concis et clair, et abonde en expériences de pensée illustrant les arguments et problèmes centraux de chaque système. Hawking démontre une virtuosité certaine dans le maniement des articulations fines régissant les entités des plus infimes (quark, gluon) aux plus étendues; il atteste également d'une conscience des problèmes inhérents à la quête d'une théorie intégrée de l'Univers (cette théorie peut-être prédire sa propre production et s'écrire elle-même ?). Forces de l'ouvrage • Le choix d'informer le grand public de l'état d'avancement des réflexions sur l'origine de l'univers et son fonctionnement est des plus louable qui soit, compte tenu du fait, tout aussi indéniable, irréfrénable que préoccupant, de la spécialisation des connaissances et de la disqualification concomitante du sens commun (pour ce qu'il en reste); • Le recours aux illustrations ainsi que l'insertion d'un glossaire en fin d'ouvrage facilitent la compréhension, voire même la rétention - mémorisation ; • Hawking fait montre d'un certain humour qui vous tire un sourire ici et là et embellit l'ensemble ; • Alors que le lecteur était en droit de s'attendre, et de craindre, des exposés lourds et longs, force est de constater que Hawking s'exprime avec concision et efficacité. Faiblesses de l'ouvrage • L'avantage de la concision peut aussi être considéré comme un inconvénient, puisque le lecteur doit assimiler quelque peu (trop?) rapidement des notions tout à fait éloignées de son vocabulaire et de son échelle de pensée habituelle (plutôt que de manier des objets tangibles pour atteindre des buts qui le sont en général tout autant, il lui faut manier le temps et l'espace pour en saisir la nature relative, le mouvement, le phénomène de la création de champs électro-magnétique, des courbures d'espace- temps et autres entités conceptuelles de la même mouture). • La même concision créer une certaine impression de sécheresse ou d'aridité pour celui qui n'est pas déjà un passionné avide de la physique fondamentale. Demander à un ouvrage de vulgarisation dans ce champ de créer l'équivalent de l'illusion romanesque, de cet effet accrocheur qui entremêle identification, sympathie et curiosité et qui nous empêche de refermer le livre, est sans doute déraisonnable, mais Hawking aurait pu s'en rapprocher davantage, fût-ce légèrement.

Rééquilibrer la société

Par Henry Mintzberg
(3,0)
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Pour Mintzberg, les sociétés contemporaines ne fonctionnent sainement qu'à condition d'atteindre un relatif équilibre entre trois grands secteurs ou piliers, doté chacun d'atouts et de tares qui leur sont propres : le public, le privé et le pluriel. Une part de l'ouvrage consiste à illustrer les sources, ainsi que l'ampleur et la gravité de l'actuel déséquilibre avantageant l'entreprise privée au détriment de la capacité des États à légiférer, à assurer une protection des droits civiques et sociaux et de l'environnement, et au détriment de l'action associative libre, non assujettie au diktat de la performance et de la formalisation organisationnelle hiérarchique. Mintzberg entreprend de clarifier le statut de ce secteur dit pluriel, que l'on désigne autrement société civile, secteur dont un des attributs propres tient en une propriété par les membres, en l'absence de propriété ou en une propriété collective. Se référant à Tocqueville, selon qui l'association est indispensable au devenir et au maintien de la socialité, Mintzberg soutient que les mouvements sociaux d'opposition et les initiatives populaires de construction sont des lieux privilégiés d'exercice de l'ingéniosité et de la débrouillardise sujettes à alimenter le rééquilibrage radical dont la survie même de la société au plan humain, social et écologique dépend. Rééquilibrer la société est originellement paru en ligne, sous la forme d'un manifeste, ou "pamphlet". S'adressant à un public général, et adoptant un ton proche de la parole vive, Mintzberg y livre une réflexion nécessaire, quoique sur un terrain connu pour causer morosité et sentiment d'impuissance (croissance des inégalités, triomphe du 1%, dévastation écologique systématique, irresponsabilité corporative face aux ''externalités'', tribunaux d'arbitrage spéciaux assurant la déréglementation, notamment). Mintzberg ne verse pas dans la litanie crépusculaire, et il propose un ensemble de solutions qui correspondent au propos d'ensemble, à savoir qu'il est contre-productif de miser sur un des secteurs ou piliers exclusivement (qu'il s'agisse de miser exclusivement sur un État providence ou social-démocrate, sur des entreprises socialement responsables, ou sur le dynamisme du secteur pluriel). La construction d'une mobilisation interne à chacun, notamment par le rattachement de la myriade d'initiatives populaires de niveau micro avec des entreprises et des élus, la création d'une courroie de transmission entre chaque secteur autour d'une vision commune doit être prônée. Parmi les exercices auxquels le secteur public doit se livrer, Mintzberg range l'obligation de rendre public l'influence du lobbying, de le sortir de l'envers des portes closes où il s'exerce présentement ; de rendre l'évasion fiscale illégale. Le choix de s'adresser à un public général peut expliquer pourquoi Mintzberg n'a pas cru bon de créer des rapprochements avec d'autres auteurs qui avancent des idées similaires - à commencer par Michael Walzer sur l'égalité complexe entre les sphères sociales. Personnellement, je suis tenté de créer un rapprochement entre la thèse de Mintzberg et l'argument structuraliste de Marshall Sahlins dans La nature humaine, une illusion occidentale, selon lequel, dès l'antiquité, l'imaginaire dit occidental se serait concentré sur deux types de solutions à l'obligation inhérente à toute pensée mythique, cosmologique et organisante de vaincre le chaos : soit l'instauration d'une hiérarchie où l'un des termes en lutte dans le désordre prévaut sur chacun des autres, les dirige et punit; soit l'instauration d'un système de contre-poids entre chacune des forces antagonistes, assurant à la fois la libération de leurs potentiels et la neutralisation mutuelle de leurs penchants destructeurs. La recommandation de Mintzberg à l'effet que la division des pouvoirs inhérente au régime politique américain doive pouvoir être étendue au système économique (pour créer un check and balance entre acteurs privés), prise solidairement avec le propos central sur l'équilibre nécessaire, signale aisément sa parenté-proximité avec la deuxième logique structurale. La redécouverte et le réinvestissement de la propriété collective résonne jusqu'aux lointains débats ayant consacré le triomphe de la propriété sur l'usage sans propriété ("Vitaque mancipio nulle dater, omnibus usa " | "La vie n'est donnée en propriété à personne, en usage à tous") que Giorgio Agamben, dans De la très haute pauvreté. Règles et forme de vie, situe aux origines du droit romain et des querelles du monachisme. Les penseurs de la transition (terme préféré à celui, sur-utilisé, de révolution) tendent, à la différence de leurs devanciers, à n'avoir aucune implication active dans les mouvements et initiatives sociaux/populaires. Il se pourrait que cette observation de Razmig Keucheyan dans Hémisphère gauche, explique pourquoi le terrain des diagnostiques de crise - effondrement et autre soit relativement redondant - situé sur le plan des observations et des propositions générales. Certes, Mintzberg ne se contente pas de citer des statistiques (mises en annexe pour la plupart) et de re-formuler les observations relativement (quoique non suffisamment) connues sur les inégalités de pouvoir et de richesse actuelles. Il cite le Brésil comme terre fertile en ingéniosité, dans un secteur pluriel exemplaire de la logique du "pourquoi pas ?" réputée synonyme de (pistes de) solutions satisfaisantes. Mintzberg insiste sur l'importance de réformer le jugement individuel par une sensibilité plus grande aux enjeux et aux 'externalités' qu'entraîne pratiquement toute action, réforme suivant la chaîne (dite de causalité descendante dans la philosophie des sciences) allant du Jugement (désir, but, préférence) au regard (sélectivité de la perception) et à l'action (chaîne dont les biais de fonctionnement ont été admirablement observés, par Daniel Kahneman notamment). Je finirai sur ces bémols : il aurait été préférable que Mintzberg alimente son appel à l'usage de la débrouillardise et à la créativité associative d'exemples inspirants plus nombreux que la mobilisation brésilienne autour de la résolution de la crise du sida et du refus de l'OMC de baisser les prix de vaccins antirétroviraux. S'il est vrai que le scénario de l'effondrement de la civilisation occidentale (de sa non-reproductibilité écologique) est vrai, et que la lourdeur et la puissance des intérêts privés empêchant un redressement sont au-dessus du pouvoir du tiers secteur et des États conjugués, l'espoir suffisant à agir comme si tel n'était pas le cas viendra davantage de la considération des mouvements et initiatives porteurs et inspirants, que de la constatation instruite et articulée du désastre. La préface de Jean-Martin Aussant, alors directeur général du Chantier de l'économie sociale du Québec (un acteur phare du secteur pluriel), aurait été un lieu adéquat pour combler cette lacune, mais il n'en est rien. Dès la première ligne, le lecteur comprend que Aussant a abdiqué devant l'écriture d'une préface consistante, ce qui est dommage.

L'ordre étrange des choses : la vie, les émotions et...

Par Antonio R. Damasio
(3,0)
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La thèse de Damasio tient principalement en ces propositions : l'homéostasie fournit le cadre régulateur du vivant avant la réplication génétique; elle constitue le fil conducteur reliant les formes de vie les plus anciennes (procaryote datant d'environ 3,8 milliards d'années) à l'être humain actuel; elle permet de jeter un nouvel éclairage sur l'émergence de capacités cognitives élevées ("l'intelligence culturelle créatrice"). L'émergence de noyau au sein des cellules, l'assemblage d'organismes multicellulaires et l'apparition -multiplication de systèmes nerveux (d'abord centrés sur le péristaltisme ou digestion des organismes cnidaires de type hydre) s'imbriquent aux comportements sociaux et coopératifs dans un ordre étrange en ce sens que, contrairement à une conviction répandue, ces derniers n'ont pas attendu l'apparition des systèmes nerveux les plus élaborés (appelés cortex), dotés de capacité de mémorisation, d'encartage et de symbolisation, pour apparaître, mais sont présents à l'origine même de la vie bactérienne. L'évolution ultérieure aurait fait émerger à la conscience délibérative des modes d'organisation originaires, automatiques, dépourvus de conscience. La défense de ces propositions requiert un élargissement de la définition d'homéostasie, la recherche d'un organisme vivant pré-génétique satisfaisant aux impératifs de cette définition étendue, une réévaluation à la hausse du rôle des parties du cerveau (noyaux du tronc cérébrale et télencéphale) et des systèmes nerveux périphériques dans l'émergence des composantes cruciales de la pensée créatrice que sont la perspective subjective (la propriété des états mentaux : "mes idées", "mes souvenirs", "mes sentiments"), l'intégration au plan des sentiments et de la pensée conceptuelle de la multitude d'images de l'état interne et externe de l'organisme que préparent les aires associatives du cerveau. Il y a production de l'esprit par un travail de coopération et d'imbrication du corps et du cerveau, notamment via des aires où les molécules chimiques franchissent la barrière hémato-encéphalique pour se signaler directement au système nerveux (aires tels les ganglions spinaux, le long de la colonne vertébrale, et les ganglions trigéminés). L'heure est, et reste, à la dissolution générale de la dichotomie corps/esprit annoncée par les ouvrages antérieurs (L'erreur de Descartes, Spinoza Avait Raison. L'intérêt central de l'oeuvre réside dans l'explicitation de chacun de ces points (hormis la recherche d'un organisme vivant sans code génétique). Les faiblesses du livre tiennent au fait que Damasio tourne court à beaucoup de points complexes : dont la coévolution gène – culture, et l'ancrage biologique des crises culturelles. L'explication des systèmes culturels (religion, gouvernance politique, morale et systèmes de lois, science, technologie) par l'homéostasie et par le rôle des sentiments (la douleur et l'apaisement motivent la recherche de solutions et permettent d'évaluer leur succès une fois celles-ci adoptées) risque de laisser le lecteur sur sa faim. L'évolution culturelle, dans sa diversité et ses zones de recoupement, se laisse-t-elle appréhender de manière satisfaisante sous l'angle principal de la recherche de sentiments agréables ? Damasio ne s'engage pas dans un examen détaillé de cette question, ni à plus forte raison dans la prise en compte des alternatives (auxquelles il consacre à peine une page p.261-2). Les deux derniers chapitres portent sur les perspectives actuelles ouvertes par l'intelligence artificielle, la surveillance des données internet, et la discrépance entre le volume des informations disponibles d'une part, le temps et la capacité d'analyse et d'évaluation de ces informations d'autre part. Le ton décontracté et amical pris par Damasio pour aborder ces questions est proche de l'essai d'opinion, ses blagues tombent à plat (faute, peut-être, à la traduction) et semble faiblement intégré à la charpente générale du livre. En tout et pour tout, L'Ordre étrange des choses est un ouvrage peu systématique et trop économe sur plusieurs questions d'intérêt. Pour ajouter un exemple à cet effet : peut-on sans autre forme d'examen faire coexister l'affirmation selon laquelle des bactéries (cellules procaryotes) coopèrent avec celle selon laquelle, suivant Michael Tomasello (cité pour ses recherches concluantes et innovantes), la coopération humaine a atteint un stade de complexité distinct résidant dans la conjonction entre attention et intention communes d'une part, rôle et perspectives individuelles d'autre part ? Il convient également de souligner qu'une autre occasion de dialogue a été manquée, avec un chercheur hors pair en science cognitive, chercheur que l'unité corps/esprit et l'auto-organisation du vivant (par opposition à son organisation par des relations causales transformées en représentations) a conduit à proclamer la dissolution de la subjectivité (à savoir Francisco J. Varela). Damasio évoque séparément, au passage, l'apport de ce chercheur, ainsi que le positionnement du bouddhisme (qui sert de passerelle à Varela dans son projet de cognition sans sujet) au panthéon des religions/spiritualités dans lesquelles la recherche de l'homéostasie apparaît centrale. L'absence de dialogue devient d'autant plus regrettable que Damasio en a frôlé l'occasion.

Gaston Miron: La vie d'un homme

Par Pierre Nepveu
(5,0)
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Nepveu livre ici un travail remarquable par l'ampleur et la richesse de ses recherches. En quelques points saillants : Naissance à Sainte-Agathe-des-Monts; grands-parents maternels de Saint-Agricole dont le dénuement (et analphabétisme du grand-père) lui inspire un mélange de fascination et de remord (face au succès et à l'ascension sociale éventuelle); Échecs amoureux répétés auxquels une part essentielle de son oeuvre poétique, avec la trajectoire collective, doit son inspiration et sa force motrice. Échecs consignés par écrit (journal) comme tremplin de maturité/ation bien que relative stagnation de ses agissements en matière de recherche d'intimité; Hantise d'être rapidement oublié ("que je meurs ici au coeur de la cible / au coeur des hommes et des horaires") et d'être dépassé ("archaïque Miron") du fait de son identification étroite envers l'indépendance et du fait de l'échec de celle-ci (hantise de se réduire à des slogans et du militantisme. Amour se conjuguant toujours, dans ses poèmes, au passé ; autant de revers transfigurés en un futur salvateur ; Extrême sévérité autocritique et lenteur dans le travail de réédition de L'Homme rapaillé (au grand dam de ses éditeurs, à commencer par François Maspero puis de Jean Royer); Atermoiement, faux fuyants et désistements constants face à l'écriture, bien qu'annonce de projets de publications relativement nombreux; Implication dans la publication de deux (ou trois) anthologies de la poésie québécoise avec Lise Gauvin et Andrée Ferretti; Soutien ambigu au FLQ (ni appui, ni condamnation, bien qu'indignation et colère envers les condamnations venant du RIN notamment); emprisonnement lors de la crise d'Octobre, soutien actif au mouvement de la libération des prisonniers politiques (dont Pierres Vallière et Charles Gagnon); Un enfant, Emmanuelle, élevée par lui surtout (avec le soutien de sa mère et des épouses de quelques amis) mère au trouble psychiatrique qui resurgit épisodiquement avec fracas (brûle son journal intime et son passeport); Arrière-plan religieux jamais renié se traduisant en une exaltation de l'avènement collectif et en un certain inconfort face à l'intimité/sexualité ; Vision de la relation de couple aux accents paternalistes (couple dont la réussite semble coïncider avec la subordination du féminin au masculin); Espoir fondé sur une participation de la littérature à la naissance d'un peuple à part entière; Déception et amertume face aux échecs des deux référendums et au recul de la mobilisation collective (insatisfaction face au retournement des échecs collectifs en pseudo-victoire individuelle par la relève); Soutien aux poètes québécois de sa génération et de la nouvelle vague, publication de ceux et celles qui se sont arc-bouté contre son propre legs; création et participation à l'administration du prix Nelligan ; Continuité de sa vie adulte avec ses activités jeunesses d'animateur au sein l'Ordre du bon temps (folklore, artisanat, réseau d'amitiés); relations nombreuses voire foisonnantes au Québec et à l'internationale, surtout mais non exclusivement en France, amitié avec Robert Marteau, Eugène Guilvic, Jacques-Frédéric Temple, André Frénaud, notamment; Amitié avec Jacques Bercque est décisive dans son orientation poético-anthropologique (déclarée comme tel à Apostrophe, de Bernard Pivot); Vie active le privant de moments introspectifs et de contacts avec lui-même; Ambassadeur du Québec et de sa littérature à l'étranger (aux États-Unis, en Amérique latine, en Europe occidental et scandinave). Reconnu comme poète national avant même la publication de son maître ouvrage. Maître dans l'art de donner aux commencements (dans sa vie et ceux de ses entreprises à commencer par la création de l'Hexagone) une dimension de légende. Orné de prix et distinctions de la parution de l'Homme rappaillé (et même légèrement avant) jusqu'à sa mort. Retournemenent de l'agonie en affirmation de puissance; ancrage tellurique de l'espoir individuel et collectif. Forte inspiration sartrienne dans sa vision de lui-même (réalisation de sa liberté et de sa responsabilité recouvertes par une aliénation et une dépossession collectives). De son vivant, traduction de certains de ses poèmes, voire même du recueil au complet, en arabe (première en date, grâce au poète syrien Adonis), en italien, en anglais, et en brésilien (travail qui a duré 15 ans, soit la durée même de l'élaboration de la première version de l'Homme rapaillé, en 1970). Funérailles nationales. 1

887

Par Robert Lepage et Steve Blanchet
(4,5)
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Puissant et émouvant, tant par sa simplicité que par son étonnante portée. Le Québec de la Révolution tranquille vu à travers le filtre de la mémoire personnelle de Robert Lepage : l'enfance de son père et la sienne rue Murray, le voisinage, la nette conjonction entre distinction de classes socioéconomiques et différence linguistique; l'invention du drapeau canadien passé l'évacuation des couleurs de l'autre peuple fondateur et l'évacuation de la référence aux autochtones, le samedi de la matraque et le réalignement concomittant des positionnements (de rouge / bleu, à fédéralistes / indépendentistes), le manifeste du FLQ,... La situation actuelle de fin de société, de la non-reconnaissance typonomique de ses artisans (pourquoi ne pas avoir renommé le carré Saint-Louis carré Nelligan ; pourquoi un cul-de-sac à Outremont nommé Pauline Julien?) de la satisfaction vide des parvenus serviles et anciens révolutionnaires devenus prof d'université ou chroniqueurs voyageant en VUS. Une manière de regarder l'histoire qui la rend vibrante, saisissante et - sait-on jamais - mémorable. La réflexion psycho-neurologique d'arrière-plan sur l'actuel surabondance de l'information et de supports informatiqies par rapport à nos capacités de mémorisation (réflexion qui rejoint des travaux récents en biologie fondamentale - voir par ex. K. Laland 2017, Darwin's Unfinished Symphony: How Culture Made the Human Mind) confère à cette pièce maîtresse une auréole d'actualité dramatique (ce à quoi peut ajouter qu'il faut aux lecteurs un iPhone pour se prévaloir de l'application accompagnant le livre de scènes tirés de la pièce).

Le nous absent

Par Sébastien Mussi
(4,0)
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Cet essai explore la délicate question de l'identité et de la culture collective québécoises ; fruits d'une histoire coloniale refoulée sous un discours de l'ouverture ou d'un ressassement patrimonial, ou bien vidé de sa substance, ou bien amoindri et asséché. Son argument principal, à l'instar de Fermand Dumont ou de Hubert Aquin (souvent cité, conjointement à Gaston Miron) est à l'effet que la dé-possession territoriale et politique subie des suites de la domination britannique et de la confection du régime à son avantage ont laissé une empreinte psychologique permanente nous disposant à nous présenter et à nous penser dans des termes servant le maintien de cette désappropriation et de cette conviction en une incapacité, une immaturité ou dépendance intrinsèques, réduisant à l'insignifiance foncière ("il n'y a rien à voir ni à connaître à ce sujet, passez"). Mussi estime que les deux symptômes préoccupants de cette psychologie défaitiste sont, tantôt la réduction du patrimoine culturel canadien français à la religion catholique instituée (négligeant les mouvements anticléricaux ainsi que les appropriations et syncrétismes locaux), tantôt l'angélisme dépolitisé (et donc fautif) d'une ouverture calquée sur le pluralisme normatif de la charte canadienne. Mussi expose ces symptômes en examinant le programme Éthique et culture religieuse, qu'il estime être une occasion largement ratée de redéfinir l'identité et la culture québécoises afin de garantir un accueil et un dialogue réels. ECR, estime-t-il, en omettant toute mention des rapports de force, des conflits et de la domination qui ont fait du Québec de souche le majoritaire minoritaire incertain et craintif qu'il est, et en omettant la totalité du soubassement littéraire de l'affirmation et du questionnement de cette identité, reconduit la dé-possession coloniale sous de nouveaux fards. La tonalité de cet essai est hégélienne, non dogmatique, ni éditoriale. Mussi procède dans un esprit constructif qui stimule la réflexion. Comme il le souligne à raison, évacuer les rapports de domination et les inégalités structurelles du régime confectionné à l'avantage des vainqueurs coïncide, dans le cas Québécois comme en d'autres (cf. les rapprochements avec des textes d'Aimé Césaire), à évacuer la raison-d'être même du dialogue et de l'effort de parvenir à une entente. Un essai recommandé pour sortir du ressentiment, pour apprendre à accueillir (ou à re-dessiner des drapeaux) sans se condamner au silence, et pour (re)commencer à saisir les lieux et relations constitutifs, tant de l'identité que de la différence québécoises.

Un coin dans la mémoire : l'hiver de notre mécontentement

Par Yvan Lamonde
(3,0)
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Le sens du coin dans la mémoire n'est pas celui, littéral, d'un lieu mais celui, métaphorique, d'une pièce métallique utilisée pour fendre le bois. À cette enseigne, l'historien et professeur livre des réflexions sur le succès de la domination anglaise du Canada dans sa subtilité et sa puissance d'agent anasthésiant, instillant au sein de la psyché québécoise une division permanente et multiforme entre l'identité culturelle (conservatisme réformiste et autonomiste) et le pouvoir politique (émancipation et devenir sujet). Diviser pour régner; asséner fermement cette division initiale de manière à la rendre intrinsèque à une subjectivité qui maintient, par elle-même, son incapacité de se construire et de volonté de réussir. Forces du livre • Les réflexions sur l'universalité et la culture publique commune sont pertinentes et méritent l'attention; La clarté avec lesquelles les conditions nécessaires au succès de l'entreprise coloniales sont montrées comme ayant été réunies au Canada-Québec en vertu de l'architecture particulière de l'institution parlementaire ici (construction artificielle d'une majorité législative par le pouvoir de refus des chambres exécutive et législative nommée sur la chambre d'assemblée élue ; "petite loterie" octroyant pensions et privilèges aux sujets adoptant le rôle de collaborateur et de facilitateur à l'avancement des intérêts anglais); • La force du rappel de l'alliance nouée entre un pouvoir anglais, désireux d'éviter l'adhésion des descendants français à la révolution américaine, et une église catholique, désireuse de maintenir sa richesse (seigneuries, domaines, terres) et d'accroître son pouvoir sur une population dont l'élite bourgeoise a été décimée ; alliance expliquant les positions résolument loyalistes, anti-autodétermination des peuples de l'Église; Église désavouée par le Vatican préférant miser sur les Irlandais pour assurer la survie de la foi catholique en sol américain. • L'insertion du sujet canadien (français) et éventuellement québécois à l'intersection d'acteurs et de rapports de force pesant contre lui (France abandonnante; Vatican pariant sur un autre joueur; Anglais accaparant le pouvoir et jouant de l'immigration pour consolider sa position et sa main mise sur l'agenda politique), se traduisant en une désarticulation psychique atavique est une thèse dont l'actualité peut encore sembler accablante, bien qu'elle ne soit pas neuve et de loin. Faiblesses du livre • La division dont Lamonde traite est difficile à saisir au fur et à mesure de l'avancement du livre, au fur et à mesure qu'il aborde différents auteurs (la plupart contemporains) chez qui elle est prétendue s'observer ; qu'il définisse cette division ou ce coin comme la forme prise par l'expression des effets du colonialisme (d'un colonialisme réussit parce que subtile et effacé), rend la chose encore plus difficile. Pour un lecteur familier avec la philosophie hégélienne et avec les développements théoriques ultérieurs sur l'inconscient cognitif, il est difficile d'admettre que la division de la conscience et du rapport à soi puisse être attribuée uniquement au succès de la domination politique d'un peuple par un autre; • Lamonde est relativement peu systématique et il est difficile de sentir l'équivalent d'une démonstration ou d'une progression dans son propos : il peut sembler que le coeur de celui-ci est connu d'emblée, dès le premier chapitre. Les développements ultérieurs ne sont pas des plus riches en approfondissement qui soient.

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Lecture en cours :

L'infini dans un roseau
Catégorie : Littérature
Éditeur : Le Livre de Poche
Collection : Le Livre de poche. Documents
Paru le 3 avril 2023
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