Philo & Cie : magazine de philosophie et de sciences humaines

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À propos du livre

Éditorial de Philippe St-Germain, L’homo anacyclismus, ou : le recycleurL’être humain du vingt et unième siècle recyclera... ou ne sera pas. Il sera un homo anacyclismus.Cette sentence est sans doute outrancière, mais elle est pourtant confirmée — à peu près quotidiennement — par l’actualité sociale, politique et environnementale de nos sociétés. Les espaces consacrés au recyclage se multiplient dans l’espace public et semblent destinés à dépasser en nombre les espaces consacrés à l’entreposage et à la destruction ; les discours visant à sensibiliser les citoyens à l’importance — à la dignité — du recyclage se font quant à eux de plus en plus insistants, faisant naître un sentiment de culpabilité chez ceux qui ne se plient pas à leurs exhortations.Du fait de sa présence soutenue, la dimension environnementale du recyclage est la plus connue, mais elle n’est pas, et n’a jamais été, la seule. À partir du moment où l’on considère le recyclage comme la réutilisation de ce qui a déjà servi (que l’usage ultérieur coïncide ou non avec le premier), la culture dans son ensemble devient un gigantesque terrain de jeu. Le recyclage n’est pas seulement celui des objets, mais aussi celui des oeuvres, des concepts, des notions et des théories. Les exemples de recyclage sont trop nombreux pour qu’on les nomme tous, mais en voici quelques-uns, pour lancer la discussion : un roman russe est traduit en français, un film norvégien est « refait » aux États-Unis, un chanteur populaire reprend à sa manière une chanson des années 1970, la dernière allocution du président vénézuélien est passée au crible par les journalistes, une sordide affaire de meurtre est traitée différemment par des dizaines de médias et un mouvement écologiste est affublé du préfixe « néo ». De tels « événements » culturels sont loin d’être des anomalies : ils se produisent couramment et composent une part appréciable de la culture. Le recyclage y joue un rôle important, mais presque transparent : il est si présent qu’on en vient à ne plus l’apercevoir.Ce recyclage n’est pas nouveau : il est même aussi ancien que la culture elle-même, dès qu’on s’avise qu’une culture ne se construit pas en vase clos, mais grâce à un jeu plus ou moins subtil d’influences et de recombinaisons. Dans l’histoire des idées, les courants se constituent en réponse à ce qui se pense et à ce qui se fait ; en réemployant ce qui peut encore servir, tout en se débarrassant du reste — apparemment du moins. Mais cette présence « intemporelle » du recyclage ne doit pas nous faire négliger le caractère particulier du recyclage spécifiquement contemporain. L’essor d’internet a décuplé les tribunes pour l’homo anacyclismus, qui crée et produit en se servant de ce qui est déjà là. En rendant les concepts et les œuvres plus disponibles que jamais — pensons, en particulier, aux films et aux vidéos —, internet devient le paradis du recyclage, de plus en plus d’éléments étant soumis à de nouveaux usages.On sait cependant que le paradis n’est jamais bien loin de l’enfer. Enthousiasmante pour certains, l’omniprésence du recyclage est asphyxiante pour d’autres, qui estiment que ces reprises constantes trahissent un profond manque de créativité et d’initiative, dans la culture contemporaine. L’innovation semble hors de la portée du recyclage qui n’engendre pas la nouveauté — après tout, rien n’est plus étranger au recyclage qu’une création ex nihilo. Dans La culture recyclée en dix chapitres réutilisables (Liber, 2012), j’ai fait le pari de ne pas voir dans ce recyclage le symptôme d’un essoufflement culturel, mais une dynamique culturelle désormais incontournable. Cela ne signifie pas que toutes les productions recyclées valent le détour. Si on me permet de reprendre un leitmotiv de la culture recyclée, je dirai que tout dépend de l’usage. Reconnaître l’omniprésence du recyclage ne signifie donc pas un intérêt automatique pour tous les produits qui en sont issus, mais cela ne traduit pas davantage une méfiance générale ou un pessimisme fataliste. Cela implique cependant une certaine prudence à l’endroit des discours qui prétendent offrir de l’inédit, dont la mode et son émissaire par excellence, la publicité. Cela suppose aussi qu’il est possible d’envisager une créativité qui ne serait pas, à proprement parler, innovatrice ; autrement dit, que le recyclage peut être fécond sans inventer.Comme les agents de la culture qui s’en servent, le recyclage emprunte diverses trajectoires. Dans certains cas, le deuxième usage est semblable voire identique au premier — comme le papier qui restera du papier. Il y a là peu de choses à dire, puisque le nouvel usage est pure reprise (on pourrait en dire de même des copies, en général). C\u20

Catégorie : Essais
Éditeur : LIBER
Collection : Philo & Cie : magazine de
Paru le 25 février 2013
ISBN 9782895783862

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