Notre époque déserte les livres mais se prend de passion pour
Montaigne. Jamais il n'a suscité un pareil flot d'ouvrages, des
plus accessibles aux plus érudits, tous pénétrants, alertes, et
même, certains estampillés à bon droit succès de librairie.Prudence, néanmoins. Cassandre malgré moi, me reprochant
ce que je redoute, j'entends un chant du cygne dans cet
enthousiasme. En classe, on n'enseigne presque plus les Essais.
Le public célèbre-t-il ce qui va disparaître ?Montaigne incarne le pouvoir créateur du verbe auquel nous
ne croyons plus, mais dont, souterraine, la nostalgie nous reste.
Dans la serre où prolifèrent les chiffres que nous cultivons
comme aucune civilisation avant nous, il nous manque un
supplément d'âme. On le loge dans le désir sans bornes de biens
superflus : illusion désormais évidente que dénonçait le petit
châtelain chauve à la moustache fournie, presque toujours vêtu
de noir et de blanc sous sa calotte, qui parlait comme il agissait,
écrivait comme il parlait, et s'essayait à vivre selon la nature.Dire adieu à Montaigne serait troquer l'humanisme qui s'attache
à son nom contre un futur strictement prosaïque, où l'humanité,
enclose dans sa bulle étanche, se penserait maîtresse de l'univers,
sans limites à sa toute-puissance.C'est ce qui se joue au-delà des Essais.
Notre époque déserte les livres mais se prend de passion pour
Montaigne. Jamais il n'a suscité un pareil flot d'ouvrages, des
plus accessibles aux plus érudits, tous pénétrants, alertes, et
même, certains estampillés à bon droit succès de librairie.Prudence, néanmoins. Cassandre malgré moi, me reprochant
ce que je redoute, j'entends un chant du cygne dans cet
enthousiasme. En classe, on n'enseigne presque plus les Essais.
Le public célèbre-t-il ce qui va disparaître ?Montaigne incarne le pouvoir créateur du verbe auquel nous
ne croyons plus, mais dont, souterraine, la nostalgie nous reste.
Dans la serre où prolifèrent les chiffres que nous cultivons
comme aucune civilisation avant nous, il nous manque un
supplément d'âme. On le loge dans le désir sans bornes de biens
superflus : illusion désormais évidente que dénonçait le petit
châtelain chauve à la moustache fournie, presque toujours vêtu
de noir et de blanc sous sa calotte, qui parlait comme il agissait,
écrivait comme il parlait, et s'essayait à vivre selon la nature.Dire adieu à Montaigne serait troquer l'humanisme qui s'attache
à son nom contre un futur strictement prosaïque, où l'humanité,
enclose dans sa bulle étanche, se penserait maîtresse de l'univers,
sans limites à sa toute-puissance.C'est ce qui se joue au-delà des Essais.