Activités de Beurd

Jean Roscoff, militant antiraciste dans les années 1980, jeune retraité de l’université à l'aube des années 2020, un peu aigri, pas mal alcoolique, entreprend d’écrire un livre sur la vie romanesque et mystérieuse de Robert Willow, poète jazzman communiste américain exilé en France dans les années 1950. Problème, il ne met pas suffisamment l’emphase, au goût de certains, sur le fait que Willow est Noir. La polémique éclate et les rares repères qui restent au vieux Roscoff sont pulvérisés. Un grand livre intelligent sur des thématiques contemporaines brûlantes, et une pierre à l’édifice des dialogues intergénérationnels et interculturels sur celles-ci. Une lecture qui résonne avec l’édifiant texte Baldwin Styron et Moi de Mélikah Abdelmoumen, mis en lecture au théâtre de Quat’sous quelques semaines après la sortie du livre d’Abel Quentin.

Genèse et histoire des Black Panthers en bande-dessinée. Très bien documentés, les auteurs déconstruisent les clichés et les raccourcis associés à cette organisation politique, en prenant toujours soin d’articuler contexte global et local, parcours individuels et collectifs, dissentions internes et causes communes. En ressort toute la complexité des positions et de l’héritage de l’organisation révolutionnaire. L’ouvrage réhabilite l’essence communautaire des Black Panthers, trop souvent éclipsée par les violences commises par des membres du parti ou par le destin individuel de certain.es membres éminents. On en apprend aussi beaucoup sur les spectaculaires magouilles et violences des autorités (Hoover et le contre-espionnage en tête) pour saper les velléités du parti, attiser les dissentions entre militants pour les droits civiques et maintenir le statu quo raciste aux États-Unis. La postface de David F. Walker, écrite en 2020 alors que « Minneapolis brûle » après le meurtre de George Floyd, est bouleversante.

Dire de la vie de Robert Mitchum qu’elle fut romanesque est un euphémisme presque insultant tant tout dans ce destin semble agencé pour nourrir sa légende. Des drames de l’enfance à la gloire hollywoodienne en passant par l’adolescence en pleine Grande Dépression, les troubles de santé mentale, les bagarres, les morts, les métiers dangereux, les débuts compliqués, l’autodestruction qui revient comme une lame de fond, les femmes, la poésie…cette courte biographie effrénée au ton gouailleur rend un hommage qui sied à merveille à l’immense acteur. Très différent de la plus classique biographie "Robert Mitchum" de François Guérif, mais un excellent complément.

Depuis le début de sa carrière de joueur professionnel, Max Winson n’a pas perdu un seul match de tennis, écrasant tous ses adversaires et trustant indéfiniment la place de numéro 1 mondial sous l’œil de son père tyrannique. Mais une entrevue télévisée compliquée, un nouvel entraineur et un match contre le champion d’une dictature sanguinaire vont tour à tour bouleverser le joueur, qui disparait pendant des années, à la recherche de lui-même et du plaisir de jouer. Intelligent, bouleversant, humaniste, à mettre entre toutes les mains d’amateur de tennis, de sports et de romans graphiques.

Yusuf, 12 ans, vit avec ses parents dans l’arrière-pays tanzanien lorsqu’il est confié à un riche marchand de la côte, Aziz, auprès de qui son père a contracté des dettes. Au service d’Aziz, Yusuf s’occupe du magasin aux côtés de Kahlil, un autre jeune homme plus âgé qui a subi le même sort. Yusuf est ensuite confié à Hamid, associé d’Aziz dont la survie économique dépend largement du marchand. Vers 16 ans, Aziz emmène finalement Yusuf dans une grande expédition à l’intérieur des terres, dans le but de commercer avec les populations locales. Sur fond de colonisation européenne rampante, une histoire de servitude, de fidélité et d’émancipation et une esquisse rare et intrigante de l’Afrique de l’Est au début du 20ème siècle. La narration lente de l’itinéraire de Yusuf s’orne de mystères, d’intrigues et de folklores qui rendent la lecture particulièrement agréable, tour à tour drôle, violente, légère ou inquiétante.

Pionnière de la bande-dessinée auto-éditée au Québec et de la bande-dessinée autobiographique, Sylvie Rancourt décrit avec une candeur déroutante mais réjouissante ses années de danseuse nue dans le Montréal des années 1980. Très attachante, Mélody assume parfaitement sa profession, sans jamais se plaindre malgré les clients douteux, les patrons abusifs et l’insupportable Nick, son copain dealer, joueur, menteur et manipulateur. Paru quelques années après "Omaha, danseuse féline", c’est un incontournable de la bande-dessinée underground québécoise.

Premier tome d’une série de trois sur la vie de Madeleine Riffaud, résistante française, poète, journaliste, militante. Ce premier tome se concentre sur son enfance et son adolescence, du départ de la Somme face à l’occupation nazie jusqu’à l’intégration officielle d’un réseau de résistance parisien à l’âge de 17 ans, après un passage par un sanatorium isérois pour soigner une tuberculose. Son attachement à son grand-père, sa découverte de la littérature, ses premiers poèmes, le sens de l’engagement qui coule dans ses veines...Madeleine Riffaud raconte ses souvenirs à la première personne, avec simplicité, poésie et esprit. Une mémoire en or colorée exclusivement de superbes nuances de bleus. Vivement la suite.