Activités de Pascal Scallon-Chouinard

Le décor de ce livre n’a rien de particulièrement inspirant : on découvre le quotidien d’un étudiant en graphisme qui, pour se sortir des difficultés dans lesquelles le pousse sa dépendance au jeu, commence un emploi de plongeur dans un restaurant. Pourtant, on arrive difficilement à arrêter de tourner les pages, voulant en savoir plus sur la destinée du personnage, sur les amitiés qui se forgent et sur la réalité du travail en cuisine. On finit par accompagner le personnage dans son processus, par vouloir qu’il s’en sorte et qu’il finisse par se recréer une certaine stabilité émotionnelle, un cadre qui lui permettrait de mieux comprendre ses démons; de mieux se comprendre tout court. L’écriture est simple et empreinte de sincérité et de candeur. L’histoire, qui semblait banale aux premiers abords, est caractérisée par une grande profondeur. C’est une lecture qui deviendra vite un coup de cœur.

Un roman franchement étonnant, qui parvient à traiter à la fois de luttes syndicales et de sexualité sans retenue, et qui nous pousse à sortir de notre zone de confort avec un langage cru, imagé et, souvent, très violent. Kevin Lambert a une plume remarquable, qu’il maîtrise à la perfection et avec laquelle il parvient à nous raire ressentir ce qu’il veut; à passer les messages qu’il veut passer. Au-delà de l’univers ouvrier et régional qu’il met en scène, on décèle rapidement une volonté à faire comprendre, par les actions de ses personnages, l’étau que crée certaines structures de notre société, le mal-être et les désirs autodestructifs, la banalisation de la haine et de la violence, la quête du profit et les jalousies exacerbées… Le rythme du récit s’accélère au fil des pages et nous amène à une finale percutante et inattendue, qui a tout pour choquer et qui nous laisse dans un état de questionnement. Qu’on apprécie ou non ce livre, il ne laissera personne indifférent.

Cette édition, qui regroupe les recueils de Godin et un certain nombre de poèmes inédits, est une contribution majeure à la poésie politique et engagée du Québec. Les textes témoignent d’un fort engagement pour une cause et pour un peuple; les mots traduisent avec force la réalité et les sentiments d’une époque. Pour comprendre la pensée culturelle, sociale et politique des années 1960 jusqu’au lendemain du premier référendum, c’est une lecture qui s’impose. Elle permet aussi de mieux saisir le personnage, à la fois journaliste, politicien, poète et romancier, et le contexte qui a marqué sa pensée et son action.

Ce roman est une étrange bête, et j’avoue avoir eu de la difficulté à me faire au style, aux sauts dans le temps et à la longue durée de l’intrigue. Par contre, une fois que l’on comprend mieux à quoi on a affaire, il est difficile d’arrêter de tourner les pages. À la fois œuvre fantastique, roman historique et récit contemporain, ce livre surprend en tout point et nous sort des sentiers battus. L’auteur nous plonge au cœur de l’Amérique, des premiers établissements européens à nos jours, et nous fait découvrir une foule de personnages et de microhistoires qui, une fois raboutés, nous permettent d’apprécier la trame narrative dans son ensemble. Grâce à une plume habile, on ressent la nostalgie, la soif d’aventure, les rencontres marquantes et la quête de soi, et on en vient à faire sienne l’histoire du personnage principal.

C’est avec une bonne dose d’autodérision et un regard somme tout lucide sur le milieu universitaire et le monde littéraire que Claude La Charité nous propose la lecture de son premier roman. Devant redorer le prestige de leur département, des professeures et des professeurs décident d’organiser un nouveau prix littéraire visant à récompenser la meilleure dernière œuvre d’un auteur ou d’une autrice. L’absurde est au rendez-vous et est très bien maîtrisé, avec des pointes ironiques et un certain sens critique bien camouflé par une bonne dose d’humour. À travers quelques moqueries, jeux de mots et situations saugrenues, on progresse dans la lecture avec curiosité et sourire, découvrant un auteur fort brillant dont la plume est des plus raffinées.

Quelle belle œuvre que ces carnets de rencontres réalisés par Emanuelle Dufour! En racontant sa propre expérience, l’autrice arrive à mettre le doigt sur un malaise et une certaine honte que bon nombre de personnes ressentent au Québec, résultats d’une rencontre qui tarde à véritablement se réaliser et de décennies de manquement en éducation. D’abord, il faut le préciser, ce livre est sublime! Les illustrations sont d’une grande qualité et débordent de détails, au point où on en découvre de nouveaux chaque fois qu’on y revient. Les dessins, d’une réalité frappante, témoignent toujours d’une approche très respectueuse. La démarche de l’autrice et de l’universitaire est aussi particulièrement intéressante, s’inscrivant hors des sentiers battus. Présenter une histoire, l’enseigner ou la faire comprendre par l’entremise de l’art et d’une œuvre graphique, plutôt que par une traditionnelle monographie ou des articles de périodiques, permet de décloisonner le savoir; de le faire sortir de sa tour d’ivoire, sans pour autant sacrifier sur la rigueur du travail accompli. C’est d’ailleurs tout à l’honneur de l’autrice de chercher à rendre cette histoire plus accessible à tous et à toutes. Enfin, la force de ce livre réside aussi dans l’autrice elle-même, qui comprend les privilèges dont elle bénéficie et qui accepte de les confronter. De fait, elle raconte l’histoire à partir de sa propre réalité; à partir de son propre vécu et de son propre récit. Elle présente ainsi les voix autochtones sans jamais parler à leur place; sa démarche reste toujours honnête et grandement respectueuse, et aussi sans jugement. Le ton, d’ailleurs, n’est en aucun cas moralisateur ou condescendant. Il y a évidemment encore beaucoup de chemin à faire vers la reconnaissance d’un passé colonial et une véritable démarche de réconciliation. Pour bien des gens, la « rencontre » avec l’autre n’a pas pu avoir lieu et les stéréotypes, ainsi que les vieilles croyances, sont souvent les principaux référents. Ce livre leur offrira l’occasion de mieux comprendre les perspectives et les voix autochtones, et de s’ouvrir davantage à leurs réalités.

Dans une réinterprétation du roman de H. G. Wells (L’Homme invisible), Pascal Janovjak nous fait rencontrer un personnage tout à fait banal, dans la mi-trentaine et mal dans sa peau, qui du jour au lendemain devient complètement invisible. Délivré de ses angoisses et de son mal-être, on le voit se redécouvrir : dans l’excès d’abord, puis comme humain qui voit le monde d’une nouvelle façon, avec un sens critique nouveau. Sans être un chef-d’œuvre, ce roman nous permet de revisiter cette histoire bien connue et de réfléchir à notre société et à la nature humaine. C’est plutôt bien écrit, malgré un style un peu pompeux.

Ce livre est une véritable incursion dans l’univers culturel de l’Afrique de l’Ouest islamique, mais aussi une illustration marquante de la rencontre avec le colonialisme. Très imagé, empreint de spiritualité et de philosophie, ce récit témoigne du choc entre les valeurs traditionnelles et l’entreprise coloniale, qui a imposé ses rouages, ses représentations et ses pratiques. Il exprime aussi le tiraillement et la quête identitaire des personnes qui, ayant eu à fréquenter les nouvelles institutions (dans ce cas-ci pour « apprendre l’art de vaincre sans avoir raison »), se sont trouvées bousculées dans leurs valeurs et dans leurs croyances, ressentant une certaine forme d’imposture et une difficulté à retrouver leur place dans un monde en plein bouleversement. Semi-autobiographique, ce récit amène à réfléchir sur les impacts du colonialisme, non pas d’un point de vue économique et politique, mais sous la perspective des gens qui l’ont subi et qui ont dû naviguer à travers ses rouages pour trouver leur place; pour réconcilier foi et raison.

J’aurais tant voulu aimer ce livre. D’abord pour l’auteur, dont les interventions et la personnalité sont des plus intéressantes, puis pour l’originalité même de l’histoire proposée. Campé dans un décor qui alterne entre l’Université McGill et l’institut Allen, où des expériences psychiatriques financées par la CIA ont été menées à une certaine époque, le récit devient rapidement surréaliste, confondant les époques et les personnages, jusqu'à troubler l'esprit de la personne qui en fait la lecture. On rencontre des personnes, réels et fictifs, dans des détours souvent inattendus, qui donnent l’impression d’embarquer, nous aussi, dans une certaine folie. L’expérience était intéressante, mais ce n’était peut-être simplement pas une lecture pour moi. Je l’ai trouvée particulièrement lourde, ayant de la difficulté à maintenir mon intérêt au fil des pages. L’œuvre est néanmoins d’une grande qualité et la démarche de l’auteur vraiment intéressante.

Les maisons nous fait entrer dans le quotidien d’une agente d’immeuble qui, dans la fin trentaine, vit une certaine crise existentielle. La maternité, les amours déchus, la désillusion face à son époque et une certaine nostalgie traversent le roman, nous faisant découvrir une narratrice qui, par l’entremise de ses réflexions et de ses souvenirs, aspire à mieux se comprendre et à construire son devenir. L’écriture est sensible, imagée et rythmée. On y découvre le grand talent de l’autrice, sa capacité à utiliser les bons mots et à bien décrire les lieux et les gens que l’on découvre au fil des pages, mais si l’action demeure limitée. Sa plume est teintée d’humour, d’ironie et de passion. Ce roman offre en outre une certaine critique du temps : celui qui passe, mais aussi celui dans lequel on évolue, qui est marqué par le souci de la performance et un rythme effréné.

Je ne sais pas penser ma mort, c’est le récit d’une démarche : celle de l’abandon d’un projet colossal (un roman), dont la coupure ne sera ni facile ni nette, et celle d’une redécouverte de soi, de son histoire et de ses relations, avec tout ce que cela peut amener comme réflexion et interprétation. C’est une véritable introspection que propose l’autrice, qui, par l’entremise de son propre passé adolescent, aborde son identité de femme et les rapports père-fille et mère-fille. L’écriture est franche et rythmée, parfois crue, teintée de rage et de malaises, mais toujours habile et profonde.