Activités de Jean-Yves Bernard

Qu'il est agréable de se laisser emporter par un livre sans savoir où on va ! En douceur, l'auteur nous plonge au milieu d'ukrainiens qui se connaissent, aiment bien boire de la vodka, chanter, manger, parler du passé. Avant Tchernobyl. Car ils ont dû quitter leurs villages, leurs maisons. Un quotidien ordinaire qu'un écrivain poète revenu de Kief va animer en allant récupérer une porte dans sa maison abandonnée. Les petits gestes de la vie, les blessures radioactives, les silences et les confidences s'égrainent dans cette campagne ukrainienne paisible avec une grande humanité. Alors que ce pays subit une guerre atroce, pénétrer la douceur de ce récit fait rêver à cette campagne victime de la pire catastrophe nucléaire de l'histoire.

Admirable livre où la poésie embrasse la vie, le deuil, les liens impossibles entre une fille et sa mère, leurs descendances et les réminiscences de «ce peu qui nous fonde». Les mots s'accrochent, surprennent, chantent et disent l'imprononçable douleur d'être femme en se métissant de la langue du terroir où pousse du mouron des champs, ces fleurs sauvages qui survivent à l'hiver et transmettent la soif d'exister. Marie-Hélène Voyer a une voix irrésistible faite de beauté secrète et d'un attachement au soin des blessures dont on hérite. C'est un livre de poésie qu'on quitte à regret tellement il nous laboure.

Très beau roman émouvant. Une histoire de secret de famille bien racontée avec des caractères et des situations aussi imprévisibles que les hasards de la vie et … la mort. C'est ce jeu de cache-cache avec la vérité jamais complètement révélée qui fait la force de ce roman par moment bouleversant (petites larmes) qui met en scène une famille bourgeoise déchirée par les séparations et les non-dits, les drames, les joies du quotidien et les attentes jamais comblées du désir de savoir, d'être compris, d'être aimé, même quand l'amour surgit sans prévenir, sans assurance. Un livre profond qui rend serein devant l'absence de réponses, l'inconnu.

L'enquête d'un passionné de la Russie (avec la collaboration de Memorial) sur la disparition d'un homme ordinaire lors de la «Grande terreur» qui écrivait en 1928 «le futur appartient à l’énergie solaire et à celle des vents », lorsque Staline a ordonné de fusiller 750000 russes, tortionnaires inclus. Le système soviétique dans sa mécanique autodestructrice qui a engendré le système Poutine s'inscrit dans une histoire tragique où l'on fabrique des victimes pour justifier de massacrer d'autres innocents : c'est en «victime des menaces» de l'OTAN que la Russie bombarde l'Ukraine...

La préparation, l'exécution et les conséquences d'une opération de désinformation complexe concernant le débarquement allié en Sicile. Un faux cadavre largué en Espagne avec des lettres destinées aux américains en Afrique du Nord mentionnant l'organisation du débarquement en Grèce et en Sardaigne avec une fausse attaque de diversion en Sicile est récupéré par les espagnols et sera transmis à Hitler et validé comme authentique. Il enverra des divisions de blindés et de soldats en Grèce, stoppera son attaque contre les russes dans la plus grosse bataille de la guerre (à Koursk, où étaient concentrés 900 000 allemands, 3000 chars! ce qui permettra aux russes de reprendre Karkiv aux nazis et de refouler les nazis hors d'Ukraine-l'ex URSS) pour redéployer des renforts en Italie où, 3 mois après le débarquement Mussolini sera contraint de démissionner... À l'heure où les plus grosses batailles en Europe depuis cette horrible guerre se déroulent en Ukraine et où les services secrets font filtrer l'état de démotivation, de sous-équipement et de désorganisation de l'armée russe et l'ont trompée dans le nord en septembre, ce livre est d'une terrible actualité. Il invite à tenter de déchiffrer ce qui est véhiculé par les dirigeants et les médias des deux côtés alors que la désinformation est en pleine action. Ce récit se lit comme un roman.

Abandonné il y a 7 ans, j'ai eu du plaisir à replonger dans le texte comme on plonge dans la mer les yeux fermés. Car il est étrange et agréable de se laisser flotter d'une impression à l'autre au gré des descriptions, impressions et réflexions de ce jeune écrivain en herbe fasciné par un groupe de jeunes-filles qui arpentent le bord de mer. Je me lasse du milieu bourgeois et des convenances de l'époque, mais nul doute que l'on peut être séduit par les émois amoureux qu'il tente de comprendre au travers de ses rencontres et de ses échecs, sur fond de bord de mer (la deuxième partie). Il y a presque un parfum des errances de Marguerite Duras qui suinte sur ces rivages littéraires. Goncourt 1919

Sujet et titre du film d'Anaïs Barbeau-Lavalette L'histoire vraie d'un chien dressé pour attaquer les noirs. Romain Gary l'adopte et le découvre, horrifié, alors que Jean, sa femme vedette d'Hollywood milite et finance les groupes antiracistes. Romain Gary raconte ses révoltes contre l'Amérique alors que la guerre au Vietnam soulève les campus, qu'on assassine Martin Luther King, que brûlent les ghettos noirs révoltés et que Paris, où il fuit, est secoué par mai 68. Ses déchirements le confronte à son humanisme, son désir de sauver ce chien et son amour dont il se sent distant (elle à plus de 20 ans de moins que lui) et se retrouve pris dans ses contradictions dans Paris assiégé par le CRS. C'est un récit direct qui témoigne de l'époque et des débats qui y faisaient rage et qui sont un peu dépassés, même si la lutte des noirs aux USA demeure un enjeu existentiel non résolu de la société américaine.

Un chapitre dans la vie tumultueuse d'E. C. raconté avec talent, sans masque ni pudeur. Petit-fils d'un immigré russe disparu à la libération probablement parce que collabo avec les SS, E.C. relate ses recherches dans la correspondance du grand-père tout en racontant son reportage dans la Russie profonde aux prises avec ses démons chroniques (soupçons, alcool, misère, honte) et nous illustrant en détail son comportement odieux, cruel et rempli de contradictions avec son amante. C'est pénible. Ce qui amène à continuer la lecture, c'est peut-être la mise à nu relatée sans détour de sa «folie», instabilité psychiatrique qu'il évoque clairement dans Yoga paru en 2020.

Un livre unique, étonnant, émouvant, qui nourrit la réflexion sur la place des femmes dans le monde de l'art et qui met en scène des personnages aux identités mouvantes à travers un assemblage de textes à plusieurs voix : carnets intimes d'Harriet, artiste new-yorkaise à la recherche de reconnaissance qui réfléchit, enrage, crée, se bat contre le conformisme social et intellectuel, témoignages de sa fille et son fils, articles de journaux spécialisés en art actuel, récits de son amie psy, son amie medium, entrevues d'artistes iconoclastes, d'amis, d'amants...L'exploit de cette somme qui se lit comme un roman est de réussir un tout cohérent avec ce qui anime cette femme : un monde flamboyant tiraillé de tous bords par le désir de reconnaissance et la liberté de créer alors que le passage du temps fait son œuvre. Un chef-d’œuvre par sa composition littéraire hors catégorie qui n'est avare ni d'autocritique ni d'humour.