Activités de Claire Gaucher

Irène Némirovsky, Suite française - ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️ Ce roman a été publié en 2004, mais il a été en fait écrit dans les années quarante dans le feu de l’action de la guerre. Il devait comporter cinq parties. Nous n’en avons que deux, Irene Némirovsky ayant été déportée dans un camp de concentration à Pithiviers puis assassinée à Auswitch en 1942. La première partie relate l’exode des français qui fuient les bombardements et la deuxième, l’occupation allemande. Ce qui marque, au fil des pages, c’est l’écriture en temps réel par une auteure qui devait être tenaillée par l’inquiétude et l’angoisse. Les descriptions laissent voir, avec beaucoup de lucidité, le mépris des bourgeois pour les moins fortunés, l’égoïsme et la solidarité, la haine des allemands mais aussi l’amitié qui naît de leur fréquentation. Il y a de petites longueurs, c’est sûr, mais ce qui m’a fascinée au plus haut point, c’est le magnifique style plein de sensibilité et de précision d’Irène Némirovsky. Ses comparaisons, toujours justes, donnent à voir des attitudes, des éléments de la nature qui autrement passeraient inaperçus. Une grande écrivaine vraiment !

Tatiana de Rosnay, Nous irons mieux demain -2022 - ⭐️⭐️⭐️ J’ai adoré son huitième roman Elle s’appelait Sarah vendu à des millions d’exemplaires mais j’avoue avoir été déçu par celui-ci. Candice se penche sur une femme renversée par un chauffard. S’ensuivra une relation d’entraide entre les deux. Bien vite cependant, Dominique, l’accidentée, s’immiscera dans la vie de sa bienfaitrice et prendra toute la place. Le sujet est intéressant mais il y a beaucoup de redondances et des longueurs si bien qu’on se lasse de l’histoire et des personnages. La psychologie est si peu fouillée qu’au bout du compte, on a la sensation d’avoir eu affaire à des fantômes. Seules les nombreuses allusions à Émile Zola, à sa vie et à son œuvre peuvent susciter notre intérêt et nous donner le goût de le lire. Je crois que je vais passer à autre chose sans garder grand souvenir de ce livre si ce n’est l’image évanescente de cette mystérieuse Dominique…

Victoria Mas, Un miracle - 2022 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ Sœur Anne part en Bretagne puisqu’on lui a dit qu’à cet endroit la Vierge lui apparaîtrait. Le sujet ne me disait rien, mais j’étais curieuse de voir ce que l’auteur du Bal des folles allait nous offrir comme deuxième roman. Le départ est lent, le temps de bien présenter les différents protagonistes. On ne sait pas très bien où tout cela nous mène, puis tout se précipite dans un huis clos aux dimensions tragiques. Ce qui frappe en premier lieu quand on est au cœur du roman, ce sont les comportements contradictoires de certains personnages. On ne s’attend pas à de tels revirements qui s’expliquent pourtant. Victoria Mas a très bien su rendre compte aussi des mouvements de la foule et de l’esprit qui l’anime selon ses différentes croyances. C’est ce qui, avec le style, explique mon quatre étoiles.

Valérie Perrin, Trois - 2021 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ Trois amis : Étienne, Nina, Adrien et leur vie de l’enfance à l’âge adulte avec ce qu’il faut de tendresse, de désertion et de retrouvailles. Moi qui ne lis jamais de roman de plus de trois cents pages, je me suis surprise à aimer celui-là sans trop de longueurs, avec des personnages attachants et bien campés psychologiquement. On entre tout à tour dans l’univers de chacun pour mieux les apprécier intérieurement. Mystère, surprise, revirements, l’auteure sait alimenter l’intrigue et la faire rebondir si bien que l’intérêt ne se dément pas. On a le goût de lire vite pour savoir mais de petites pauses s’imposent quand la fatigue s’installe. Alors, on appréciera davantage la précision de style. Bonne lecture !

Jean-François Beauchemin, Trois ans sur un banc - 2022 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ Voilà une entreprise bien originale. Assis sur un banc dans un parc, l’auteur écoute un inconnu lui raconter son histoire. À partir de là, il a l’idée de revenir sur ce banc une fois par semaine pour demander à ceux qui s’y assoient s’ils n’ont pas une anecdote à lui offrir. En peu de temps, les gens viennent d’eux-mêmes rapporter à cet écrivain un morceau de leur vie. Les récits sont brefs, étonnants, ravissants, surprenants. On ne se lasse pas de passer de l’un à l’autre et, à chaque fois, on est saisi par la grande variété des personnes, de leur origine, de leur relation même avec l’Histoire, de leur rapport avec Kennedy, Hitler, etc, des époques représentées et de l’extraordinaire sens que la vie donne à leur vie. Bien sûr, Beauchemin a fait un certain travail du style, mais il a gardé le plus important : l’esprit de ce qui lui a été donné d’entendre. J’ai beaucoup aimé.

Rebecca Benhamou, Les Habitués du Temps suspendu - 2022 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ Très beau roman ! Lila, une jeune violoncelliste est une habituée du café parisien Le Temps suspendu. Un matin, elle joue une pièce de Bach. Salomon, à son ėcoute, voit défiler devant lui des images de son passé. Il a quatre-vingt dix ans, c’est un horloger retraité. Tous deux se lieront d’amitié et Salomon lui racontera son histoire : l’exil, la guerre, l’amour, la relation avec son père et son frère, le pays aimé. Tout vibre tant les descriptions sont vivantes. Nous plongeons dans un univers riche en péripéties et en émotions de toutes sortes par la seule magie des mots et leur pouvoir. Quel style pour un premier roman !

Lisa Balavoine, Ceux qui s’aiment se laissent partir - 2022 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ Dans ce roman fragmentaire, l’auteure présente la relation entre une mère et sa fille, une relation faite de passion et de désillusions. On y vit l’enfance de la narratrice, sa vie d’adulte alors qu’elle devient mère à son tour et, finalement, les émotions qui surgissent avec la disparition de cette femme aimée et détestée. Quelle influence, quel héritage et quelle empreinte laissera-t-elle en partage ? Voilà la question que pose l’œuvre. J’ai aimé le style dépouillé et haletant et cette façon qu’a Lisa Balavoine d’interroger le réel à partir des sensations intérieures de ses personnages. Un livre prenant !

Viola Ardone, Le choix - 2022 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ Italie, 1960-1981. La narratrice principale Oliva devenue femme doit prendre un mari pour respecter la tradition, mais elle refuse l’offre de Paterno qui, frustré, l’enlèvera et la violera. Elle se révoltera finalement contre cette loi qui dit qu’elle doit épouser son agresseur. C’est un beau roman sur la prise en charge des femmes et de leur destin. La narration est d’abord amusante car on a droit aux remarques naïves et charmantes de l’enfant puis, à mesure que l’histoire se déroule et que les moments importants de l’enfance sont bien campés, on a droit à une narration à double voix où les réminiscences chevauchent les événements présents. Ce procédé est original et a pour effet de donner de la profondeur à l’œuvre. J’ai bien aimé aussi le rôle du père qui, bien que silencieux, occupe une place importante dans la vie de sa fille. Après Le train des enfants publié en 2020, Viola Ardone nous offre ici un autre roman de qualité.

Annie Ernaux, La place - 1983 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ L’auteure se souvient de son enfance dans sa famille d’ouvrier et de commerçant et de l’écart qui la sépare d’elle quand elle entreprend ses études de Lettres. C’est surtout la figure du père qui est présenté ici. Même si Annie Ernaux campe son récit dans un milieu bien précis, elle atteint une forme d’universalité dans la psychologie des personnages et leur souci d’être bien malgré leur condition. On fait aussi le tour de l’évolution de la société et du progrès sur plus d’une vingtaine d’années. Le style est simple et dépouillé et on a droit à des expressions savoureuses qui restituent bien le climat de l’époque. L’œuvre a remporté le prix Renaudot en 1984.

Annie Ernaux, La honte - 1999 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ L’auteur vient d’obtenir le prix Nobel de littérature et c’est tout à fait mérité. Dans ce roman, elle raconte un événement marquant de ses douze ans, mais elle ne se contente pas d’en faire une description psychologique. Le récit est si bien imbriqué dans la petite société qui l’entoure et dans les usages de l’année 1952 que l’œuvre devient un portrait sociologique de l’époque. Les critiques ont bien raison de dire qu’elle se fait ici l’historienne de la mémoire collective. Je n’ai pas beaucoup lu de livres de cette auteure mais je compte bien remédier à la situation. J’ai particulièrement aimé ces passages où elle énumère les expressions utilisées par son entourage ainsi que ces objets et ces désirs qui donnent de la couleur aux âmes qui façonnent son univers.

Gaëlle Josse, La nuit des pères- 2022 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ J’aime l’écriture sensible et imagée de Gaëlle Josse. En plus, elle sait aller droit au but, ce qui n’est pas pour me déplaire. Mais je dois dire que ce roman, présentant les tensions d’un père avec ses enfants, n’offre pas de grandes surprises. Au fil des pages, j’avais l’impression de savoir avant même les personnages. Le style cependant sauve tout et on apprend que sous les silences et les colères, il y a parfois des âmes blessées qui ne peuvent tout simplement plus dire leur tendresse. Il y a au moins trois pères en un seul ici. À lire tout de même…

Pascale Navarro, La classe de danse - récit - 2022 - ⭐️⭐️⭐️⭐️ Récit autobiographique. Au début la narratrice a 14-15 ans et ne vit que pour la danse. C’est un livre court, bien écrit, un peu technique par moments car l’auteure y décrit tous les pas et les positions à apprivoiser, mais on ne s’ennuie pas tant ces descriptions rythment la vie intérieure de la jeune danseuse. Qu’adviendra-t-il de ce rêve de jeunesse et qu’est-ce que cet art lui apporte tant ? Le lecteur aimera la limpidité de l’écriture et la simplicité de la présentation. En filigrane, les musiques sur lesquelles elle a dansé et, ma foi, on les entend presque tant le mouvement se dessine bien dans ces pages.