Mon appréciation de la réalité, bien que j’ai conscience qu’elle soit subjective, me donne parfois l’impression de vivre à une époque où les configurations relationnelles possibles explosent pour la première fois en une myriade de possibilités. D’un autre côté, mon intellect me rappelle que l’Histoire comporte nombre d’exemples de peuples et d’individus qui ont vécu leur vie en dehors du cadre rigide et forcé des grandes religions monothéistes. C’est en dansant au rythme de cette dualité, de cette ambiguïté que le tome 1 de l’essai historique Histoire populaire de l’amour au Québec de Jean-Sébastien Marsan tente de nous dépeindre le fonctionnement et les moeurs de la société coloniale de la Nouvelle-France. L’équipe responsable de la mise en marché du livre a bien fait son travail : ce sont les éléments les plus croustillants de notre histoire qui se retrouvent sur la quatrième de couverture. En la lisant, j’ai eu tout de suite envie de découvrir ces irrégularités relationnelles de l’histoire du Québec. En effet, nombre de ces histoires, tout en étant grivoises, trouvent une résonance dans la façon dont des femmes et des hommes vivent leur vie au XXIe siècle. Bref, il y a dans ce livre de quoi affirmer que nous n’avons rien inventé. Or, si cette essai repose sur de nombreuses sources et ouvrages de références, il n’en demeure pas moins que les bases sur lesquelles il s’appuie – comme bien des livres d’histoire – demeurent sujettes à précaution. Contrats de mariage, documentation de procès en justice, journaux des responsables de la colonisation… tout cela pourrait n’être que la pointe du glacier. Tout en étant passionnant, cet ouvrage se révèle donc aussi frustrant : on y brosse d’un côté une société catholique et monogame bien rangée, bien ordonnée avec ses traditions et ses rites, et de l’autre les exceptions à cette règle, dont certaines auraient engendré la colère de zélotes catholiques, un peu comme ce que l’on voit sur les réseaux sociaux lorsque le « scandale-de-la-semaine » sort dans les médias… mais qu’en est-il vraiment? Comment pouvons-nous savoir comment les colons, illettrés pour la plupart, organisaient vraiment leur vie amoureuse et familiale? Que cachaient-ils aux autorités religieuses? L’auteur le mentionne d’ailleurs lui-même : le manque de curés pour surveiller les ouailles dans les villages éloignés a possiblement laissé cours à des pratiques jugées hors normes par le clergé. Bref, si l’auteur se plaît à raconter nombre de cas hors normes, le portrait qu’il brosse de la société en général demeure quand même celle de bons catholiques, monogames et bien rangés… faute de preuves du contraire. Je suis convaincu que cette vision de l’histoire n’est que façade, et que ce qui suit les cérémonies de mariage bien arrosées cache nombre de secrets, de tabous et de pratiques irrégulières, éthiques et non éthiques. C’est comme la distanciation sociale : les autorités gouvernementales (qui ont remplacé le clergé dans les années 1960) nous disent de le faire, mais dans les faits, combien d’entre nous oublient de rester à deux mètres des autres en tout temps – un sondage récent révèle d’ailleurs qu’environ 35 % des répondants ne respectent pas cette pratique ( Source : https://lactualite.com/actualites/sondage-covid-19-les-canadiens-majoritaires-a-approuver-le-deconfinement/ )? Au final, je recommande ce livre à toutes les curieuses et tous les curieux de notre passé : les informations qu’il contient sont pertinentes, éclairantes, amusantes. La section sur les moeurs sexuelles des amérindiennes et amérindiens est inspirante, même si elle repose sur une documentation parcellaire. Il y a dans cette section des éléments que l’on retrouve dans certaines de nos pratiques contemporaines, par exemple le fait d’être libre de changer de partenaire lorsqu’une relation est terminée, ou encore la possibilité d’entretenir des relations éthiques avec une tierce personne (concubin, concubine). D’autres exemples pourraient être inspirants dans le renouvellement de notre civilisation nord-occidentale, dont le rituel d’expérimentation ( « Courir l’allumette ») de la sexualité chez les jeunes, ou encore la possibilité de bâtir des familles où le rôle de mère et de père est partagé par plusieurs adultes – chez une des nations amérindiennes, c’était aussi de la responsabilité des tantes et des oncles, où les hommes étaient tous pères des enfants de leur frère, où les femmes étaient toutes mères des enfants de leur soeur. Pour ma part, je souhaite que la distanciation sociale ne soit qu’un mal nécessaire de courte durée, et que nous inversions la tendance à l’atomisation des familles en unités monoparentales. Je suis de ceux qui croient que ça prend un village pour élever un enfant, et je doute que la société puisse survivre, à long terme, un monde où un parent s’occupe seul plusieurs enfants, même si c’est une semaine sur deux… Je lève mon chapeau bien haut à celles et à ceux qui y parviennent!